mercredi 9 octobre 2024

140.Suppurer l'incongru.

  Nous avons tous des moments de déphasage plus ou moins constants avec le matériel, mais chez certains, c'est presque parfaitement toujours. Ferais-je partie de l'élite ? J'arrive parfois à m'en convaincre, rater la marche est un art à part entière, il suffit de ne pas trop souvent se tordre la cheville gauche pour éviter d'aller regarder le singe au plafond. Comme ça, ça ne veut rien dire mais rassures-toi Christine, je vais expliquer.
  Samedi dernier, mu par un élan de voyageur poussé dehors par le beau temps, j'ai tenté d'aller au festival de BD local pas trop loin en voiture, et c'est avec joie que j'ai fait trois arrêts boites à livres dans des localités inconnues. La boite à livre (avec ou sans s) dénote la mentalité du lieu. Quand elle est pourrie, mal rangée et placée à un endroit minable en proie à la pluie, au soleil ou au vent, ou les trois en même temps, je me dis, bon, c'est pas ici que je viendrais acheter ma ruine. Par contre, lorsqu'elle est bien entretenue et qu'on sent que certains locaux ont fait l'effort de classer les magazines avec les encyclopédies, je me dis, peut-être qu'ici, un bibliothécaire à la retraite prend soin de la cabine téléphonique.
  Mon voyage n'était pas initialement prévu pour des arrêts, mais je ne calcule pas toujours mon calcul, sinon jamais, dés que je sors, je sais que la réalité va me donner un coup de boule alors autant prendre son temps pour voir venir le tractopelle. Et mes loupés n'ont pas loupés.
  J'ai la chanceuse et malchanceuse déconnexion de ce qui m'entoure, me considérant plus petit que ma taille et moins fort que ce que je montre, j'ai une inconscience de moi-même qui frise le génie. Si je veux prendre en photo la drôle d'église, je me prends en reculant, un bitte dans la cuisse. Avec deux t, oui, et pam. Pourquoi cette commune a-t-elle eue l'idée de mettre des plots de bois élevés partout qu'on peut plus faire un demi-tour correct, aucune idée. Les décisions les plus crétines sont souvent motivées par le consensuel. Monique a dit à Martine que les gens se garaient trop sur la pelouse qui en a parlé au maire et sa femme a dit oui. Résultat, obligé de faire cinq cent mètres pour un demi-tour décent sans manœuvrer comme un âne. Bien que personnellement je n'ai jamais vu d'âne conduire un break, même dans les livres de Richard Scarry, c'est vous dire.
  Arrivé au festival de BD, j'ai compris en parlant à une dame bien mise sur elle (le genre de celles qui font des enfants pour pouvoir les ranger dans des boites) réglée comme du papier à musique et si ça dévie d'une note le sourire reste là mais on sent que la hache est dans le coffre, que le festival de BD c'est la semaine prochaine, j'en ai parlé à mon mari pas plus tard que tout à l'heure, ah oui je suis sûre, haha, désolée, haha. Je ne lui ai pas dit que ce n'était pas la peine d'être désolée, elle est partie vroum vroum dans sa grosse auto, droite sur son siège sans arrêter de sourire dans le rétro, et je me suis posé la question de que vais-je faire dés lors dorénavant à partir de ? Le pas qui suit enchaîne souvent l'autre qui vient.
  Ayant vu un homme passer lors de mon palpitant échange, et revenir presque aussi sec avec une baguette sous le bras, je me suis dit, mais oui voilà, je vais aller prendre une baguette. Ce que j'ai fait. À défaut de festival, autant coller des miettes.
  J'ai descendu les marches de la poste/mairie, sans avoir oublié de fouiner dans la boite à livre imitation chalet tout devant, et je suis allé chercher ma baguette. Devant le PMU jouxtant la boulange, j'ai vu de joyeux drilles qui sirotaient le pastis de 11h00 (on était samedi, ça va) et j'ai vite pris ma baguette, et un croissant amandes, et une chocolatine (j'habite le Sud-Ouest) mais pas un pain raisins (dit aussi pain aux raisins mais j'ai habité la Belgique) car pour des raisins, raisons, pardon, d'une mode qui m'échappe, il était farci sur le dessus de grosses boulettes de sucre blanc compactes, et c'est pas possible. Que revienne le temps de la part de flanc à 1euro50 qui nous comblait l'estomac et pesait 500 grammes, oh passé révolu, tout ça.
  Puis en remontant à mon break, j'ai failli me faire écraser par un jeune à casquette qui roule à cinquante musique à fond dans le petit virage derrière la mairie/poste pour se mettre sur le parking musique à fond, alors que franchement c'est pas une route non mais n'importe quoi lui. Je me suis demandé si je devais lui apporter un livre de la boite à livres (on peut mettre un s à livre des fois et laisser boite au singulier, je suis free dans ma tête, c'est quoi le problème ?) pour enrayer son destin de jeune qui roule trop vite en écoutant une musique de merde à fond, mais qui suis-je pour juger et en plus je n'avais pas de bombe anti-agression ce jour-là.
  L'an passé, j'ai descendu une pente en roulé-boulé pour suivre ma chienne, j'en parlais dans les vidéos de l'hiver, peut-être la 115 ou la 117 je ne sais plus, tout ça est si loin, et je me suis tordu le pied, je crois que c'est bien la 115 (qui m'a motivé à quitter la chorale pour commencer vraiment à m'occuper de faire des trucs pour moi après une réflexion pas trop poussée), en me disant ça va, l'angle du pied était bizarre à l'atterrissage, il y a eu un bruit chelou, mais ça va, je peux marcher jusqu'à la maison, en boitant. Et puis en fait non, ça n'allait pas. Et quelques mois plus tard (pourquoi avoir tant attendu, mystère de mon masochisme latent, même si ça va beaucoup mieux merci, je ne le répéterais jamais assez) je me suis tout de même résolu à aller chez mon ostéopathe où quand on s'allonge dos sur la table on voit, collé sur une image au plafond, un chimpanzé souriant qui vous regarde. Ça fait réfléchir.
 
  Quant aux livres potentiels pour supporter la fin du monde, je vous encourage à commencer par Le Nain qui disparaissait, de James P. Blaylock, Bilbo le Hobbit bien sûr, de Tolkien, Les Chroniques de Wildwood, le tome 1 déjà, de Colin Meloy (musicien du groupe les Decemberists, dont les clips sont pas piqués des vers) illustré par sa femme Carson Ellis qui a un instagram qui donne envie d'être un bobo riche de l'Oregon habitant à Portland, et La course au mouton sauvage de Haruki Murakami, parce que. Je vous donnerais d'autres idées au fil des futurs posts afin de sécuriser le périmètre mental de nos vies attaquées de toutes parts par des charençons géants qui ne connaissent pas, hélas, le goût du thé chaud l'après-midi qui, certes, jaunit les dents, mais aide à la digestion du chili sans carne qui nous robore l'esprit autant que l'estomac et c'est pas dommage. Merci Kiki.

lundi 7 octobre 2024

139.Là où je rêve debout.

  L'histoire ne dira pas si je réussirais à mener à bien un de mes nombreux projets, mais elle parlera malgré tout de ma capacité à me souvenir de mes rêves chelous. L'ambition d'un artiste, je ne sais pas, mais la mienne, un peu mieux. Développer un sens de la concentration qui m'amène chaque jour un peu plus à me transformer en œuf dur sur un mur.
  Cette nuit, je tentais de trouver un lieu pour habiter et travailler, je visite quelque chose de délabré mais avec des pièces correctes, pas de chauffage, un peu de plafond, tout à faire. Proche d'un centre ville de petite ville, une ancienne usine peut-être, avec vue sur une grande cour bétonnée, des hangars, des bâtiments plus ou moins en état dont un qui attire mon attention, avec toit en tôle et poteaux troués à la Eiffel, solides, pouvant abriter des avions. Je me dis ça : on pourrait y mettre des avions. 
  Je pense aux avions ronds privés que j'ai vu où déjà ? un cartoon ? Un film de Hitchcok ? La Mort aux trousses ? Et je demande au propriétaire si justement je ne pourrais pas y fabriquer des avions, taille 1 mais en carton, des sculptures quoi ! Plus tard, je revenais dans la pièce habitable, le proprio est parti, pour montrer l'espace à Aurélia, et sur le lit de camp (il y a un lit de camp) un gamin moitié endormi qui me dit qu'il doit rentrer chez lui mais ne sait pas bien comment. Je crois qu'Aurélia n'est pas enchantée par le lieu et s'en va. Il me montre le trajet et je l'accompagne. Arrivé chez lui il va direct se coucher, écrasé de fatigue dans la chambre où, si je pige bien, il dort avec ses deux frères. Dans la salle de bain, je trouve une chasse d'eau bouchée pleine de crottes et de papier cul, et du linge salle humide qui déborde de la cuvette jusqu'à la cabine de douche. J'enlève comme je peux les vêtements salis pour faire un tas à nettoyer et je tire la chasse et, heureusement, ça part dans un tourbillon océanique, qui réveille les trois frangins, dont un ado, qui sortent endormis et en pyjamas de leur chambre, blasés, comme si leurs nuits n'étaient qu'interruptions de sommeil, pour s'installer avec leurs matelas et couvertures dans le salon qui ne donne pas sur la salle de bain. Je leur dis que je les réveillerais pour l'école demain matin (il ne faut pas que l'on s'aperçoive qu'ils n'ont pas de parents à la maison) et je lance une machine avant de cleaner la salle d'eau de fond en comble, tout en me disant que leur journée demain va être un peu rude avec ce sommeil haché.
  Un autre, deux nuits avant, après les frites et les deux bières où selon des sources proches j'ai ronflé un peu fort : mon grand-père venait de mourir et j'avais été mis au courant un peu tardivement, alors que j'habite à côté maintenant, il me fallait vite m'y rendre pour sélectionner quelques affaires m'appartenant avant que les autres (mes oncles) débarquent. Dans la réalité mon père avait fait ça dans le dos de ses frangins, remplissant une remorque d'objets avant tout le monde sans prévenir personne...
  Un dernier que je n'avais pas fait depuis un moment, et qui revient comme un espace de joyeuse panique et me rappelle combien l'organisation de mon départ de l'atelier fut source de montées de glurp... Je retourne rue Bouquière pour un été, j'ai la clef et j'y entrepose mes affaires, beaucoup trop pour changer, pour profiter gratuitement de l'espace et y travailler sans autorisation, je sais que le proprio peut débarquer n'importe quand mais je m'entête, et je sais que je devrais tout virer et faire un déménagement express avant que les guetteurs ne reviennent pour me faire leur rapport. C'est super stressant et je me réveille en me disant que je suis bien débile de m'ajouter du taf en plus, il faut parfois quelques minutes pour être sûr que le déménagement est bien terminé et que je ne reviendrais plus dans la ville honnie.
  Il va y avoir, peut-être, un énorme travail intérieur à réaliser pour tapisser de bleu nuage notre esprit atterré par les nouvelles du monde dans cette humidité compacte de nos bunkers en cours. Je passe ma journée en petits temps sur chaque idée, ça avance mieux comme ça. Mes réveils ces temps-ci, sont calqués sur la pluie, ma vessie me lève avant la catastrophe. Je m'extirpe, rampe, tousse, le sentiment de vivre dans Blade-Runner avec des moutons pas électriques autour. Les livres me sauvent tout en nourrissant mes rêves. J'en ferais une liste dans le post 140 si le temps ne s'améliore pas. Et même s'il s'améliore d'ailleurs. 
  Je risque de vous décevoir, c'est souvent les mêmes.

samedi 5 octobre 2024

138.Le mec plus ultra.

  Comme prévu, je remonte lentement mais sûrement le nombre, le chiffre, des posts de ce blog pour rejoindre ceux de la vidéo de la semaine, et tout sera parfait dans une harmonie qui apportera la paix dans le monde et dans les cœurs blessés du capitalisme galopant plus vite qu'un cheval au galop sur les rives du mont Saint-Michel.
  Bien sûr, la vidéo de la semaine comme qui me suit m'aime, est très en retard sur mon timing. L'automne, nous l'avons vu dans le scandaleux post précédent, a pris le pas de m'empêcher d'aller dehors faire des prises dans le vent et la pluie, et c'est une excuse toute pourrie, tu pourrais parler dans la caméra depuis ton intérieur si fonctionnel et spacieux pour nous ragaillardir de quelques vannes hésitantes dont tu as le secret. 
  N'en jetons plus de casino, je vais m'y remettre, d'ailleurs cet après-midi, je vais me promener dans la campagne, il fait beau, c'est l'occasion.
  En même temps, j'y habite dans la campagne, donc si je sors de chez moi, dois-je dire, je vais automatiquement me promener dans la campagne ou je vais me promener tout court ? C'est délicat à trancher. Je vais me promener marche aussi. Et pourtant beaucoup moins. Je n'aime pas la promenade. Je suis bien obligé parfois, mais je ne vais jamais très loin. Mon genou me fait souffrir, souvenir d'une blessure de la bataille d'Arras, foutu éclat d'obus. Et puis il faut dire que je gamberge un max et les maximonstres. Je réfléchis beau cou, délicatement caressé sur le coin d'un rayon lumineux quand tu rêves à l'avenir glorieux de nos plantes grimpantes.
  Mes arrivées de dossiers sont nombreuses, chaque jour je dépiaute les lettres de fans et tente d'y joindre en retour un petit cadeau, une signature enlevée, une dédicace de mes dernières mémoires, et cela prend du temps. Temps que je ne peux pas utiliser pour me frictionner les cheveux avec un produit supposé empêcher leur chute, et c'est bien fâcheux. Obligé par mes obligations, je trouve encore des excuses pour traîner dans ma loge en fumant des bidis fabriquées par des enfants et tout aussi toxiques sinon plus que les bouteilles d'eau en plastique, à vous dégouter d'être breton. Alors, dans cette étrange mélancolie de gouttes, je vais et viens entre les feuilles où l'on trouve parfois un hérisson rescapé des autoroutes de l'information qui a pris sa retraite au village, pour voir.
  J'ai bon espoir de retrouver la frite. Le bar à côté en sert ce soir, c'est l'occasion. Il s'agirait de synthétiser mes courants pour faire du petit ruisseau un barrage à castors qui fait chier les pégus : "Ah bah y z'ont niqués mes pommiers les dents longues !"... C'est vrai que j'en ai marre des bouses. Bientôt trois ans que je me sers des parts de tartes tatins en kaï, en loucedé, en fignou (j'invente n'importe quoi) devant les trognes hilares du concours de boules d'octobre qui savent que le grand ne fait pas grand chose mais il est artiste, il chantait dans la chorale mais maintenant il fait quoi, allez reprend du rosé Michel, on s'en fout les jeunes, ils sont pas comme nous, y'en a qui votent à gauche.
  Je dis des bêtises, ici les gens sont merveilleux, je pense racheter une ferme qui s'écroule pour en faire une ferme qui s'écroule un peu moins vite que si on la laissait s'écrouler, et concocter un espace de travail pour les animaux réfugiés des chasses en cour. J'ai l'âme à rester en décalage constant, sans vraiment l'avoir choisi, je subis davantage ma manière d'être que je tente de maîtriser dans les règles du bonjour bonsoir ça va et vous et vos projets oh j'en ai plein, pour pouvoir me lancer la tête la première dans le retour sur scène avec un texte tellement fringuant qu'on me demandera comment je fais pour faire aussi bien le cheval.
  Quand vous entendrez la clochez faire, ding, c'est qu'il sera temps de tourner la page.