dimanche 10 août 2025

147.Comme un grand vent de choses.

   Faire ses courses sans chevaux c'est une technique de Sioux. Un espace de promenade sous néons, technologie ordurière au service du feu, mouvements des palettes sans soleil levant ni trou noir, déplacement des masses, hésitations, retours, oublis. Du contre la montre, collecte journalière ou remplissage du mois. Bouteilles, canettes, sachets, cartons. L'existentiel dans l'accessible immédiat à longue portée furtive. 
  Il y a client et client, faut pas confondre, qui semble roi mais reste pion. Deux catégories, deux ambiances. C'est pas le même rôle. On peut interchanger. Le client gagne sa vie pour dépenser au magasin, le qui bosse sur place a des promos et peut passer à la caisse quand ça ferme.
  L'aventure dans le grand ou le petit magasin, à mes yeux hyper mais tropes de naturaliste amateur, c'est le mouvement. Comment qu'on s'y déplace, comme qu'on y danse. J'esquisse des pas qui ressemblent à un début de chorégraphie contemporaine, parfois, mais juste un début, pour ne pas détonner, bien que personne personne personne n'irais m'empêcher de défendre mon ode à la boite de pois chiche ou ma lamentation des dindes, mais c'est une autre histoire et je n'ai pas de comparse, ideal partner, soulmate, caméra embusquée dans chemise à carreaux, pour filmer le carnage (pas assez pécho aux Zarbos, perhaps). Vous avez l'autorisation du groupe pour faire ce genre de choses ? Vous en avez parlé au directeur ? Suivez-moi monsieur, on va vous raccompagner à la sortie. Il y a des familles, monsieur. 
  Ça ne m'est jamais arrivé. Je connais si bien le logiciel de la sécurité par cœur. Costaud ou pas, l'uniforme fait loi, banque privée, poigne ferme, lait d'ânesse, yeux de faons. Il faut choisir le bon magasin.
  Il y a, ici, des enfants qui aident à remplir le caddie avec des choses qu'on ne voulait pas prendre en arrivant, des gens à listes sur papier (sinon j'oublie) et de plus en plus avec téléphone gros écran, nez dessus, pouce actif, prérempli, mur à cases. Panne de secteur, tu t'éclaires à la liste. 
  Couples heureux d'être ensemble qui se complètent (prends le beurre, je prends les nouilles...) couples pas heureux d'être ensemble qui se complètent (prends les nouilles, mais non les autres, t'as pensé au beurre ? Tu penses jamais au beurre...). Ceux qui viennent pour s'amuser parce que ça fait une sortie, la boite à livres géante en bas est super, ceux qui prennent sans réfléchir, reposent après, reprennent, se demandent, oh je sais pas, prennent le cinquième paquet derrière pour éviter les microbes, 6 tranches de jambon breton, pensent aux abattoirs et aux yeux doux des cochons enlevés par les horribles machines, reposent, pensent au croque-monsieur du soir, reprennent... Ceux qui tentent de déjouer les pièges de la citadelle, louvoyant héroïques entre les aromates, évitant les rayons tentations sucres modifiés, repartant bredouilles, avec ce caddie géant à consigne bleue inutile à ranger, trois articles max, dont un tendancieux (alors qu'une petit sacoche en rafia territoire "I love Panisse" made in Marseille aurait suffi) caisse automatique, manque de pot, ça bloque, obligé de repeser le lubrifiant glisse toute plage avec Monique et sa clef magique, pas de remarques, professionnelle jusqu'au bout des ongles à paillettes. Il y a ceux qui ont faim et font des montagnes, tout schuss. Il y a ceux qui sont fatigués et dorment éveillés, coudes reposés sur la barre, étendant mollement un bras pour tenter d'attraper quelques chose sans s'arrêter vraiment pour sortir plus vite, s'écrouler dans le van, oublier le parking, sac de couchage, bouchons d'oreilles, oreiller mémoire de rêve sur tapis roulant infini, ça bloque au lecteur de codes barres, bondong bondong, vous pouvez pas dormir là madame. Il y a ceux qui sont là pour voir et attendent, dommage qu'il n'y ait que des bancs au magasin brico. Et tous nous marchons des kilomètres pour arriver au bout.
  Et partout, des pardons, des mercis, des excusez-moi je vous en prie, des s'il-vous plaît, des ouvrez votre sac, des je ferme ma caisse, des à la queue comme toute le monde non mais dis donc alors c'est fou quand même, les gens sont incroyables, des je vais vous montrer, des je ne vois pas le prix, des vous avez des scanners pour voir le prix, des comment ça marche, des on prend du coca, des oublies pas les chips, des c'est écrit trop petit, des j'aimerais bien manger ça, des attention je passe, oh pardon, ce n'est rien, je vous ai pas fait mal ?
  Toute la chaîne de l'humain représentée dans le super mini maxi, on danse pas pareil selon les espaces représentés, développement personnel, instruments de cuisine, espace détente tout pour la relaxe, punaises et cafards. Se nourrir, se cultiver, n'est-ce pas la même chose ? 
  Ici, la foule, compacte ou clairsemée, bataille de cheveux blancs pour peser ses légumes, on se regarde, on se trouve beau, étrange, on baisse les yeux si on s'en rend compte, on se tamponne, on s'évite, on s'accroche, on s'observe. Ce monsieur chauve au pull cachant son cou semble vous suivre de rayon en rayon avec son panier roulant à une main, motifs écossais, à moins qu'il ne prenne le même mouvement codifié de remplissage que vous, ne sachant pas quoi prendre, il copie. Cette fille marchant sur un nuage, yeux verts, grandes lunettes embuées au rayon céréales, peine de cœur après texto. On recroise les mêmes, deux fois, des jumeaux, trois fois, des triplés, on comprend les errements, les oublis, évitements, reposages de trucs qu'on veut plus en entendre parler même si la poussière d'un volcan venait recouvrir les toits de tôles. Si on suit le processus du labyrinthe, les fournitures au début, les légumes à la fin, tout le monde applaudit et on part avec une statuette.
  Je m'interroge, qui décide de la place des choses où qu'on les met ? Poste aléatoire à la courte paille ? Restaurant bifteck qui s'est qui s'y colle ? Ou bien c'était prévu, un coup c'est lui, un coup c'est l'autre ? Imprimer SA marque, ce sont des hommes, ils font du paddle, mettront ailleurs les lessives parce que Christophe, ce taré, les foutait à côté des yaourts en bouteilles et on confondait (rien de personnel, j'aime beaucoup les Christophe) c'était vraiment n'importe quoi. 
  On change parfois les rayons de place, mécaniquement, de nuit, avec des armées de robots tueurs et des scientifiques maigres en blouses de bouchers à lunettes opaques armés de chalumeaux, prêts à cracher les soudures du rayonnage ultime. Les gens verront.
  Ça occupe les employés et ça déboussole le client. Difficile de se souvenir que c'était là avant quand on se réhabitue. Se réadapter au mélange, trouver les épices, chanter dans une casserole, choisir poils durs et ne jamais oser ouvrir l'emballage. Gencives fragiles, dans le sens du tartre.
  Et partout, je vois, du plastique qui déborde, qui submerge nos yeux, nos lèvres, nos veines. Emballages orduriers, ils sont dans nos mains puis dans nos rivières. La vie comme un contenant de l'âme. Voldemort rigole.

samedi 2 août 2025

146.De la puta madre 2/...

  Après une mise en place solennelle de l'histoire en route, scénettes silencieuses sur quai, graves et chorégraphiées au millimètre, échanges de colis précieux, embrassades de départs et derniers conseils porte-bonheurs avant la traversée, le sol de la scène se mit à vibrer en mode avion. Comme aucun acteur ne semblait y porter attention ou s'en inquiéter et que le conteur principal continuait à dérouler son récit sans trouble apparent, je gardais contenance, mais ça partait un peu en saucisse. Tonneaux à la mer, cordages en gigues, perroquets affolés dans leurs cages (de fait ils étaient faux, ou empaillés, je n'ai pas vérifié), ça titubait sec ! Levant mécaniquement les yeux au ciel comme on fait quand on attend le pire pour éviter un projecteur avant la bosse, le plafond bougeait comme un roc devant un tombeau ! La jeune comédienne, immobile et concentrée comme ses copains, avait visiblement compris mon désarroi et souriait. Étais-je sujet à une hallucination comme dans un film de Quentin Dupieux ? La chaleur de Séville avait-elle grillé mes neurones de plouc français peu habitué aux changements de climats (on était en 1992, je le rappelle, qui aurait pu prévoir blablabla) ?
  Des étoiles apparurent, et je compris que c'était toute la scène qui bougeait, le plateau de théâtre était mobile ! À moins que ce ne fut la salle, j'ai jamais trop compris si c'était les trains qui partaient ou le paysage. En tous les cas, les acteurs se mirent en marche pour ne pas disparaître en coulisses, ça tournait pépère, pas besoin de courir, et l'avant du bateau de la scène a disparu progressif laissant la place à une sorte de plage limitrophe forêt vierge, je me souviens plus si ils ont pas lancé la musique de Vangelis avec mon gros Gérard qui arrive en rotant après les sirènes, tout en faisant des moulins dans l'écume avec ses bras pour faire comme dans le roman. Chapitre 13. 
  En regardant plus attentivement la salle aussi agréablement surprise que moi par le mouvement des planètes, et après l'arrêt de la tectonique, j'ai compris que le public avait vue sur une sorte de longue et rectangulaire boite située au dessus du cadre de scène où défilait des phrases, le sous-titrage du dessus comme on dit dans le jargon (quand la scène bouge pas on dit judicieusement le sous-titrage du dessous). J'en déduisis logiquement que c'était bien le plateau qui tournait. Ce que c'est qu'être un fromage.
  Quand tous les acteurs furent rendus sur la plage, je vis que de menus changements de costumes s'étaient discrètement opérés, un pantalon raccourci ici, une chemise déchirée là, un chapeau troué et des pieds pour la plupart désormais nus. Le bruit du bord de mer en fond, des indiens d'Amazonie avec couvres-chefs en ficus, boucles d'oreilles violettes et plateaux de bouches, s’avancèrent, majestueux et sévères, les bras chargés d'assortiments de fruits, de mer aussi, lézards confits, colliers de coquillages et objets inavouables destinés à combler les chaudasses (dans ma mémoire de tête d'épingle de l'époque, la première rencontre entre Colombus et les papous ça devait plutôt être sur une île, après je connaissais pas le metteur en scène). Je fantasmais un peu, ça se mélangeait dans mes BD. Je gobais devant tant de magnificences, ou j'avais un peu chaud, ça a dû se voir vu que j'étais le seul à être resté propre après la traversée de l'Atlantique, genre j'ai pris la mer mais ça va je gère.
  La jeune comédienne effleura mon bras droit me faisant signe du menton d'avancer vers eux. J'obéis, un peu anxieux, tachant d'oublier que j'étais sur scène pour m'intégrer au truc avec naturel. Ils étaient quand même à moitié à poil et plutôt costauds. La semi-nudité masculine me posera toujours problème tant que je n'aurais pas un peu plus de muscles, (vous vérifierez cette assertion en regardant illico la vidéo 183). C'est lié à ma mère.
  Le mec avec la plus grosse coiffe m'a alors enlevé doucement mon chapeau, s'est agenouillé, je vous l'ai dit j'étais moins grand, et passé un collier de nouilles autour du cou. Un hourra général me fit sursauter et des coups de fusils tirés à la hussarde m’arrêtèrent le cœur le temps d'une Near Death Experience. La lumière s'éteignit aussi sec. Boum. Stroboscope alterné rouge et blanc, flashs wizzz, et les gentilles retrouvailles firent place à un bain de sang, une bataille entre les civilisés et les indiens, j'en parlais pas plus tard que y'a deux posts, je fus soulevé par l'un d'eux et mis en coulisses comme un meuble. Un peu étourdi, je sentis une petit main prendre la mienne. Elle souriait, contente et amusée de me voir si bousculé par les événements dramatiques en cours (tu parles !).
  Sans me lâcher, elle m'entraîna dans les couloirs, retrouvant sans peine notre loge pleine de costumes, ce qui me fit tout drôle parce que de mémoire de teenager, je n'avais jamais tenu la main d'une fille aussi longtemps. Me laissant à l'entrée, elle commença à se déshabiller sans fausse pudeur, puis me voyant tétanisé devant la porte, elle sortit d'un portant un autre costume recouvert d'un plastique de protection, tout prêt cette fois, et me le tendit. D'autres acteurs ne tardèrent pas à rentrer dans la loge derrière moi, je fis donc une embardée et ôtant promptement mes précédents vêtements sans timidité mal placée, j'enfilai ceux que l'on m'avait tendu. Le métier qui rentre coco !
  J'avais l'air d'un petit marquis des îles, il y avait même une perruque blanche poudrée, qu'on m'aida à fixer à mes cheveux, mais je n'eus pas le temps de m'extasier sur ma nouvelle tenue car tous ressortirent illico, continuant de s'habiller dans le couloir pour certains d'entre eux. J'eus à peine le temps d'ajouter une mouche sur ma pommette gauche. Ayant perdu de vue mon espagnolette, je rattrapais les autres en courant, un peu bêtement je supposais, pensant aux moutons de l'histoire (on étudiait Rabelais au bac de français cette année là) espérant de tout mon cœur que les sols en fer grillagés des couloirs résisteraient à ce troupeau de gnous en migration sauvage. 
  On arriva devant une porte noire en bois, découpée dans un mur qui partait haut haut dans les cintres, et l'on ouvrit. Majestueuse entrée délicate et précieuse. 
  Nous étions dans une salle de réception éclairée à la bougie électrique, miroirs, grandes fenêtres à carreaux, une longue table avait été dressée, des serviteurs noirs habillés en laquais rouge et or tenaient chandeliers et plats avec des trucs à manger immangeables dessus. La salle dorée faisait la moitié de la scène, il y avait côté jardin une terrasse donnant sur une nature semi-sauvage, culture de canne à sucre et manguiers. Les comédiens passaient de la salle à la terrasse dans un ballet bavard mais inaudible pour le public, qui semblait ravi. Comme la maison était surélevée, on pouvait voir sur le devant de scène des personnages masqués de capes noires fomentant quelque chose depuis des buissons. Le conteur acteur fil conducteur, resté sur le devant de la scène, qui n'avait toujours pas changé de costume depuis le début du spectacle, ne voyait supposément rien des ombres et restait droit à admirer le ballet du dessus. Je crus que le passage dans les loges avait duré plus longtemps que je ne l'avais pensé, car le temps dans l'histoire des voyages de Colomb s'était mué en autre chose, à l'époque de l'abhorré commerce triangulaire, sans aucun doute. Haïti ?
  Puis le narrateur, théâtral un peu surjoué, haussa la voix, les gens du bal se turent. Se tournant vers nous, il appela un Fernando assez vivement, son fils et futur héritier de sa fortune esclavagiste, expliqua t-il, pour le présenter à l'approbation du public. On me poussa, j'étais incrédule, la jeune comédienne me rejoint avec grâce comme une danseuse légère, elle était postée dans un coin de la pièce avec une marquise métisse, et tout en prenant doucement mon avant bras par dessous, le gauche cette fois, m'encouragea, mutine, à descendre les marches donnant sur le bord de scène. Quand j'y parvins, elle repris sa place avec la même aisance, je ne l'avais pas quitté des yeux. 
  Je n'étais pas inquiet, du moins je crus réussir à montrer que je n'étais pas inquiet, planté comme une asperge devant une centaine de paires d'yeux multinationaux, j'espérais juste qu'il n'allait pas falloir dire un truc. Et de fait, c'est comme si, taquin avec le jeune intrus que j'étais, le narrateur principal avait senti que c'était le moment de passer aux choses sérieuses. 
  Après avoir expliqué qui j'étais, ne tarissant pas d'éloges sur mes qualités supposées de fils putatif (je crois bien qu'il a cafté que je sortais d'une malle car toute la scène et la salle ont ri à mes dépens) il changea brusquement de ton et, fièrement, me prit par les épaules en me tournant face à lui. Solennel, il me posa trois questions à rallonge, que je ne comprenais pas trop mais qui je pensai nécessitaient l'affirmative vu que j'étais supposé incarner sa descendance et qu'il était en train de passer la main sur le domaine, ou un truc dans le genre. 
  Je dis trois retentissants "Si !" et même un "Si Padre !" à la troisième question, histoire de faire le malin, ce qui ne lui déplut pas vu qu'il m'enlaça viril en esquissant une larmichette (il sentait un peu fort mais je n'ai pas bougé). Il se retourna triomphant face au public tout sourire, me présentant comme un trophée, puis il se prit une flèche dans la tête.
  Ce fut un peu confus, mais en gros, les esclaves avaient choisi ce moment pour foutre le feu à la villa et buter tout le monde. Je soutenais mon faux père qui s'écroula très professionnellement avec un réalisme noir et blanc de bonne composition, en prenant une mine de circonstance de celui qui ne s'y attendait pas trop. Entendant crier, je me retournais et vis, ma comédienne en prise avec deux gaillards prêts à la molester d'une façon trop piratesque à mon goût. Je repoussais aussi délicatement que possible la dépouille du conteur qui me fit un fort peu discret clin d’œil, et je bondis dans la maison en flammes (des tissus rouge et oranges agités par des soufflants). Saisissant un plateau de petits fours j'en lardais de coups les têtes des assaillants de mon amie avec les blongs retentissants de ce genre d'accessoires, ce qui fit rire l'assistance et détendit un peu l'atmosphère, je crois. Les molesteurs  de ma comédienne furent si surpris de la tournure du script qu'ils la lâchèrent, bras ballants, avant de se ressaisir pour nous ressaisir mais trop tard, car nous étions déjà repartis dans les couloirs des hauts décors. 
  J'entendis les rouages de la grosse machinerie se remettre en route et titubant à peine, dans un élan romantique idiot, pris la jeune fille par la taille pour la serrer contre moi, effaré par la tournure des événements. Elle m'observa curieuse et intense sous un néon vert salida de soccoro et, sans même me vexer, se retira très très doucement de mon étreinte pour m'entraîner de nouveau dans une direction inconnue, je supposais, vers le nouveau costume à enfiler pour une improbable nouvelle scène...

mercredi 16 juillet 2025

145.De la puta madre 1/...

  Bon, il me reste une heure de journée du 16 juillet pour narrer ma trépidante vie pleine de rebondissements et de regards acérés sur un monde en pleine mutation qui n'en finit pas de mutationner car comme dit le dicton : "Reprenez du clafoutis."
  Je me suis garé au soleil puis trouvant ça nul, à l'ombre et c'était mieux, pour aller à la plage en étant raccord avec l'heure des marées. J'ai eu du mal à bouger ce matin si tu veux savoir, le cœur vide et à quoi bon, mais comme je m'étais promis de me baigner dans les relents de gazole et les miasmes des alentours tout comme le gros monsieur de hier que j'avais vu dans l'eau près de la jetée et que je m'étais dis, purée, ce type nage dans les miasmes, j'aimerais bien faire pareil, mais là je suis pas équipé alors demain je reviendrais. 
  Mais les lendemains sont parfois difficiles et il n'y a pas toujours le même allant d'un jour à l'autre, ça dépend ce que tu as fais la veille si tu as bu la poire à papi, et le programme change, c'est la raison pour laquelle j'ai toujours évité de faire des voyages organisés. Enfin si une fois, mais j'étais jeune, c'était l'Espagne et mon cœur était sans expérience.
  Dans le bus qui nous emmenait à l'expo de Séville, l'expo mondiale, je sais plus comment qu'on dit, universelle, en 1992, je te raconte cette histoire d'avant les Internets, y'avait la plus jolie fille du bus qui m'avait pris à la bonne en pensant que j'étais le mec cool vu que j'étais mignon, mais ça ne s'est pas passé tout à fait comme prévu. 
  Après un bout d'après-midi dans un parc à tourner et discuter littérature de tous les livres qu'apparemment elle n'en lisait pas beaucoup, la plus jolie fille du bus est allée faire le tour de la ville avec les sportifs qui avaient beaucoup plus de choses en commun avec elle qu'avec Tom Sawyer ou Robin des bois. 
  Les sportifs avaient réussi pendant le voyage à changer les noms des listes pour rester entre sportifs, et me refiler le gros con que personne ne voulait dont j'ai subi les ronflements pendant une semaine dans ma famille d'espagnols qui ont dû se dire les français, quand même, parce que cet andouille, un soir, s'est bourré la gueule (en fait les sportifs avaient trouvé marrant de le faire boire) et il a fallu que je le traîne jusque chez nous avec force ahanements et hurlements de sa part, dans une village de 200 âmes à côté de la grande ville, autant dire que sur les derniers jours du séjour, notre réputation fut faite. Non seulement ces petits cons ne tiennent pas l'alcool mais en plus ils font du bordel la nuit alors qu'on tente de dormir entre deux canicules. Et moi qui ne buvait pas encore, j'avais été accusé d'avoir picolé tout pareil. Et c'est après cette injustice sans nom que je fis ma première fugue. La plus jolie fille du bus avait tout vu mais n'avait rien dit pour ma défense et j'en avais été encore plus dégouté.
  Le lendemain, arrivés en bus à la 'epo de Séville, le grand grand lieu de tous les pays qui montrent tous un truc qu'ils font bien avec des bâtiments fait exprès pour le truc, je me suis un peu perdu en suivant, nez au vent, les chemins pas balisés comme je fais parfois encore aujourd'hui ça mène à tout.
  J'ai suivi un chat, et passé derrière un camion, observé des gros câbles et décidé de voir où ils menaient, plusieurs fausses ruelles entre des bâtiments de chantier qui m'ont fait déboucher dans une sorte d'arrière cour avec des grosses poubelles. Une porte était ouverte. Je suis entré pour aller voir et suis tombé dans des loges. Il y avait plein de costumes en tas ou bien rangés, des chapeaux, des plumes, des robes, des gilets dorés, des accessoires, épées, chandeliers, astrolabes, des malles entassées, ouvertes et fermées, des miroirs avec des ampoules autour, du maquillage, des pinceaux, des moustaches, des perruques, des bigoudis. 
  J'ai entendu du bruit, j'ai visé une grand malle, je suis inexplicablement monté dedans (j'étais un peu moins grand qu'aujourd'hui) et j'ai refermé le couvercle. Ils sont alors entrés.
  C'était pas le plan Cocoon, mais j'ai un peu flippé. Ça causait espagnol, je dirais même castillan, et ça parlait spectacle, je comprenais pas bien avec le couvercle, mais j'ai pigé qu'une représentation allait avoir lieu, et une fille a ouvert la malle, crié, et éclaté de rire. Tous se sont tournés, j'avais un truc en plume ridicule sur la tête et un bout de robe rose enfilé sur mon cou. J'ai souri. J'ai baragouiné que j'étais français que je visitais le parc et que j'adorais le théâtre. Ils m'ont demandé si j'avais déjà été sur scène et j'ai dit oui, ce qui était vrai, mais pas des gros trucs. Ils se sont tour regardés en souriant et m'ont sorti de la malle. La fille m'a emmené prêt d'un portant rempli de pourpoints colorés et en a choisi un, elle m'a demandé d'enlever mes habits. C'était assez facile, un short, un T-Shirt, une casquette, des baskets, une petite banane moche avec mes papiers, un peu de pesetas et des gris-gris marrants.
  Je me suis donc retrouvé en caleçon dans une endroit que je ne connaissais pas, avec des gens qui venaient de me rencontrer, trouvant tout naturel de me déguiser en page, ou un truc dans le genre. Mon caleçon étant trop grand, ça faisait des bosses, la fille m'a demandé de l'enlever pour pouvoir ajuster sur moi un collant beige. Elle m'a fait signe de ne pas bouger, a sorti un paravent de derrière une porte. En fouillant dans un tiroir elle a trouvé un slip, neuf (il sortait d'un emballage) et à ma taille. J'ai retiré mon caleçon, mis le slip, le collant, c'était beaucoup mieux. Une sonnerie métallique s'est faite entendre dans le couloir (ce que je supposais le couloir) et le petit groupe s'est un peu plus animé, accélérant les retouches de maquillages, de coiffures et d'assemblages de costumes. Quand la fille a décidé que j'étais paré (je devais ressembler à une sorte de Christophe Colomb jeune, mais pas trop typé ibère) elle m'a passé à un mec à barbe courte qui m'a maquillé vite fait, teint blanchi et deux traits sous les yeux, pommettes rouges, et puis on est sortis de la pièce en silence.
  Un long couloir, j'avais bien supputé, avec un sol en fer grillagé qui résonne clong clong, j'avais aussi troqué mes baskets contre des sortes de pompes super conforts en cuir, également à ma taille, elle avait l’œil la nana. On a marché pendant un temps qui dans mon souvenir semblait très long, et on est arrivé sur un plateau géant avec plein de fauteuils en face. Et à la taille du plafond et aux symboles peints partout, je crois des figures du tarot espagnol, j'ai compris que j'étais, justement, à l'intérieur du pavillon espagnol. Le gamin futé quand même à qui on ne la fait pas. Sur la scène, il y avait un décor de quai avec tonneaux et cordages, et sur la gauche par là où on était entrés, la proue taille réelle d'un galion, la Maria c'était écrit dessus. Un des comédiens a parlé à la régie en demandant de lancer la musique, et peu après, du public a commencé à affluer de part et d'autre du haut de la salle qui descendait jusqu'à la scène, sur les gradins en face de nous. Une salle de spectacle confort comme au cinéma. La fille m'a pris à part alors que le comédien principal, ou le narrateur, s'est mis à apostropher les gens et à leur souhaiter la bienvenue.
  Elle m'a regardé droit dans les yeux et m'a fait signe que je ne devais pas parler, et là j'ai vu qu'elle était plus jeune que je ne pensai, presque mon âge. Au vu de son physique elle ressemblait beaucoup au comédien qui parlait maintenant plus lentement et commençait à emporter les spectateurs, désormais bien installés dans une histoire que j'allais découvrir avec eux... 
   

mardi 15 juillet 2025

144.Le vent dans l'Esso.

   Après je fais ma rabat-jouasse avec les feux d'artyfesses (mes oncles disaient toujours ça, mon paternel aussi, je ne sais pas quoi en penser, j'ai donc mis un y pour faire style) mais j'aime ça quand même les couleurs et les formes, sinon je serais pas peintre en bâtiment. 
  Il y a juste que le bruit ça tue des oiseaux, ou ça les fait fuir des nids et après qui c'est qui va promener le chien ? Ça leur fait peur aux chiens, d'ailleurs, (et les chiens d'ailleurs c'est flippant croyez-moi) et ça fout le feu à la pinède tant qu'on y est, et parfois à la robe de la première adjointe, on a encore dû évacuer Santa-Monica et le président a voulu serrer la main aux pompiers en leur expliquant que c'est la faute à pas de chance, avec plus de goudron on aurait évité que la nature s'en mêle. Jack a cru faire le marrant en ajoutant "et des plumes", il est en taule. Mais c'est pas parce qu'il est noir on nous a assuré. La caution est pas trop élevée, on va faire un loto s'ils le changent pas d'État avant jeudi. 
  Avec la technologie des drones marrants qu'on expérimente vachement dans le monde en ce moment, on pourrait créer des figures dignes du Roi et L'Oiseau, je crois qu'il faut mettre des majuscules aux deux personnages. Un peu comme la Bergère et le Ramoneur, voyez. Je m'éclipse. Simuler le bruit pour faire boum quand même à la fin, ce gros boum qui fait trembler les chaumières et nous rappelle que ça vient de Chine, comme le reste. Ou alors on dirait au micro : et maintenant, on va faire le boum de la fin, vous êtes prêêêêt ? (ouaaaais). 3, 2, 1... Si l"humanité gueulait boum à chaque fois qu'on l'emmerde, y'aurait même plus besoin des guerres.
  Aujourd'hui que je suis seul, j'ai fait le voyage en véhicule pour aller voir un poète et sa maison à la ville honnie, c'était bien mais c'était long, la route. Pas le courage de prendre le bus ou de faire du stop qui marche pas ici. J'avais jamais passé par cette route (c'est joli j'avais jamais passé, non ?).
  Je me répète, et chaque fois que je dis je me répète, je me répète, on est trop nombreux à rouler. Faudrait des cartes artiste premium (je sais pas si je me répète, j'ai pas tout relu, mais j'ai déjà pensé à l'idée quelque part) de l'entreprise Platon DTC. Quand l'artiste se promène, vous restez chez vous et ça pollue moins. Maman, y'a un artiste qui prend sa voiture, on fera les courses demain ! Les artistes au pouvoir, le bordel dans l'abreuvoir.
  Sur les côtés, une biche effarée qui sait plus comment rentrer dans les bois, y'avait des grillages, j'ai pas vu exactement, effrayée par le bruit en plein jour, n'ose pas aller sur la route voit bien que c'est chaud, j'espère qu'elle n'y est pas allée, je peux pas ralentir, je me dis inch'allah parce que si on s'arrête pour la guider elle risque de paniquer encore plus et de faire un soleil. 
  Derrière moi j'ai une grosse caisse blonde qui déborde en guimauve avec lunettes et moue qui moue et me colle parce que je vais pas assez vite à son goût et qu'elle peut pas (encore) doubler parce que  justement à côté y'en a qui vont assez vite et même plus, c'est rageant Jean-Gérard ! Respecter les distances de sécurité c'était pendant deux semaines après son permis, il y a quarante ans quand elle a eu sa première Rolex. Après elle a commencé a rouler plus vite pour arriver plus vite parce que ça va plus vite. Le permis à points c'est du vol, non mais !
  Plus loin y'a une bête écrasée au milieu sur la route à 80 kilomètres heures qu'on te dit que y'a des radars mais qu'on te double à 110 parce que y'a qu'un seul radar sur le long tronçon. En haut, des buses variables, des oiseaux de proies, des aigles ou des faucons qui tentaient de récupérer la dépouille en tournoyant au dessus, sans doute pour organiser une cérémonie entre bêtes. La buse pique et fonce au milieu de la route pour prendre le paquet, mais les gens roulent roulent, alors il prend pas et remonte aussi sec. J'en peux déjà plus.
  Quand aurons-nous le temps de faire autrement que vite, une charte où les animaux, écrasés ou pas seraient immédiatement pris en charge par les personnes pas forcément compétentes que nous sommes. On voit des bêtes, hop on s'arrête. Joli slogan. Et tout le monde est content et on se rencontre on fait des piqueniques et c'est pas grave on ira acheter une table quatre chaises pliantes blanches en plastique dur en promotion une autre fois. Reprenez du clafoutis (ah, y'avait longtemps).
  Un monde sympathique où la nature est vénérée et active en nous, où on ne sépare pas la bête de l'humain, où en gros, on commence par regarder, écouter, sentir ce qui nous relie là partout tout le temps, ce que l'on est vraiment, des petits riens dans le grand tout. La concurrence des fauves commencerait par un jeu de piste pour reconnaître les crottes. On se promènerait déguisés en tapir persan, avec des motifs et tout, et on ferait des tas de pommes de pins à enflammer ailleurs pour les feux de la Saint Renard. Un monde dessiné, intégral, intégré, intégrateur, détonant détonatour, en bus à deux vitesses à deux étages, le direct et le pas direct, et un troisième pour les enfants, et la violence se canaliserait dans les caresses.
  Oh, oui, personne ne serait à l'abri d'une pulsion morbide, d'une massue à pointes ou d'un dérangement meurtrier, mais on pourrait peut-être, entre deux visionnages de Kung-Fu Panda (les films les plus arts martiaux Queer animalistes que je connaisse) développer le concept que les cabanes améliorées d'observation dans les bois, c'est possible, c'est gratuit et y'a un flou dans la loi personne a dit qu'il était besoin de se doucher autant si j'ai parfum pin des landes dans mes cheveux crêpés.
  Et moi, petit kraken joufflu au milieu d'une réunion de cachalots anonymes, je dirais le respect que j'ai pour les milieux marins, et malgré l'éclat bleu des yeux des mosquitos, témoignerais, un peu honteux, de mon goût sans détour pour la tapette agile.

lundi 14 juillet 2025

143.Révolution dans mon salon.

  Le précédent message était un recyclage, j'avais tant pas tant pu publier ces derniers mois, occupé que j'étais à comprendre mon existence, que je me suis recyclé des sujets de combat de la dernière heure. Je l'ai déjà dit ici, je suis un guerrier sans panache, avec une crainte viscérale des coups dans la face, trop habitué au logique : un homme, une arme, une bavure. 
  Aussi je me rétracte au moindre fumigène, les feux d'artifices me plaisent seulement en lecture dans le Seigneur des Anneaux, et la foule me fait penser à un dragon aveugle éternuant sur un chargement de nitroglycérine. Alors, là vous me voyez, je fais le malin en dénonçant des trucs que je trouve pitoyables genre je suis abonné à Libération (mais plus pour longtemps, j'ai résilié) mais je serais pas sûr de le faire dans la vraie vie de pas l'Internet. On peut se surprendre à être courageux quand on est acculé, mais acculé qui sera bien acculé le dernier, comme dit le dicton.
  D'abord parce que je viens de perdre une dent du fond, soignée par un dentiste précautionneux qui m'avait écarté la mâchoire comme dans un film de Terry Gilliam, et y avait passé bien une heure avec son assistante à cimenter le tout comme si c'était une ruine, et il faut croire qu'elle n'a pas supporté, pas l'assistante, qui était quand même bien conservée pour son âge, mais la dent. Elle est tombée comme ça alors que je mangeais du melon d'Espagne. Je l'ai mise sous mon oreiller, le lendemain y'avait toujours la dent.
  C'est confus. Je me reprends.
  L'idée c'est de poser les idées sur le matelas comme on dépose une princesse qu'on aime toujours même quand elle pète, j'ai une hargne désolée pour le capitalisme triomphant mais je n'irais pas à Notre-Dame des Landes pour affronter les CRS et les tanks du petit banquier. Enfin, j'irais bien aujourd'hui parce que c'est fini mais hier moins. Je trouve pathétique l'attitude des élus qui pensent comme des voitures et qui n'ont que le courage des urnes de leur deuxième tour, mais que faire ? Mettre du fumier partout pour dire on veut plus de pesticides parce qu'il n'y a pas d'autres solutions pour produire plus de monoculture et faire plus de betteraves, plus de maïs plus de cancers, et là tu gagnes ? Le combat me semble déséquilibré, un peu comme moi.
  Quand tu expliques à un pégu (pardon mais j'ai quatre ans de campagne derrière moi, même si là je me la joue reposé du zizi dans une réserve de blindés) que le problème à ses problèmes de pégu, c'est pas les ronces ou les insectes mais le capitalisme qui l'oblige à faire plus pour gagner plus, ça ne l'empêchera pas de foutre des produits dégueus sur les deux, mais pas sur le capitalisme. Nous vivons dans un monde tant cynique pour arriver au sommet, qu'on se demande si le sommet ce n'est pas la base. Cette phrase est jolie mais ça étaye pas bien mon propos.
  Souvent je résume, il y a les ceux qui pensent à garder leurs postes, et les autres. Perso ça ne me dérange pas de faire l'amour l'après-midi j'ai rien prévu de ma journée, mais si tu vois arriver des monstroplantes dans le champ de blé, c'est que la fête devait être interdite et t'as pas entendu l'annonce ou l'hélicoptère, foutu souffleur de feuilles qui m'a pris mon ouïe parfaite comme on prend une baffe parce qu'on a emprunté un vélo pas attaché à un mec pas compréhensif. J'aurais dû continuer le Judo.
  Quatre ans de village et de personnes âgées m'ont fait comprendre qu'il faut faire propre pour être heureux. On enlève les mauvaises herbes (tout ce qui dépasse du bitume en gros) on passe le roto partout où c'est possible, la tondeuse c'est à six heures quand il va faire trop chaud, et bien à ras pour que personne ne dise qu'au village sans prétention j'ai mauvais réputation.
  Mon dégout de la violence et ma lâcheté face à l'ennemi viennent peut-être de ces après-midi d'été à voir mon père s'échiner à tondre et retondre et couper et brûler tout ça dans la grosse boite en fer qui ressemblait à un robot du Docteur Who, avec les flammes qui sortaient sur les côtés du chapeau. C'est difficile à expliquer quand t'as pas vécu.
  Aujourd'hui, dans le jardin abandonné où j'ai pris mes quartiers pour fuir les concerts de la cour au bar de mon bled, à la campagne, c'est pas toujours calme faut pas croire, je ne tonds pas beaucoup. Ça déborde, ça dépasse, ça pousse n'importe comment, ça tombe et je relève pas. J'essaie de prévenir un peu les ronces au sécateur, un peu, parce que ça pique, l'espace restreint n'offre pas un champ pour cacher des bêtes dessous. Je tente de replanter un truc ici ou là, mais je garde l'herbe aussi mal peignée que possible. Et j'entends autour de moi les tondeuses rugir d'attente et de dégout pour mon attitude de pleutre face à l'évidence d'un brin à ras, les coupes-coupes en plastique se lèvent derrière les murets, les souffleurs de feuilles, encore eux, en plein cagnard bagnard s'assemblent derrière le portail et rugissent en attendant que j'appuie sur la télécommande, les sécateurs pleuvent, les voisins grondent, je vais aller chercher une caisse de nitro si je ne veux pas me faire mordre.
  J'en ai vu un, il y a une semaine, à trois heures de l'aprèm PM, 30 degrés à peine au soleil, bord d'avenue, avec tondeuse à main bien ancrée dans ses hanches, tenter d'égaliser l'herbe morte devant chez lui, avec la poussière jaune qui l'accompagne et le sourire du satisfait qui fait une chose essentielle dont le sens doit avoir pour lui un sens qui fait sens. Plus tôt c'était taillage des pauvres buissons séparateurs cycles/caisses, en face, par les amazones de la mairie, qui font des carrés gagnants pour pas que ça dépasse, avec les toujours souffleurs pour envoyer les branchettes sur le côté, c'est plus long qu'avec un balai mais ça en jette un max et ça fait du bruit pour qui veut se plaindre, ben oui mais on travaille madame.
  Vous me direz, quel rapport entre la crainte de prendre des coups et la littérature métaphorique de dénonciations convenues si tu as un peu de pensée arborescente ? Et bien je ne sais pas. J'ai peur de beaucoup trop de choses pour être cohérent. Trois jours que je ne suis pas sorti, quand je vois des gens bouger derrière les palissades, je rampe comme un lézard mort retrouvé inexplicablement noyé dans le petit pot en plastique que j'avais rempli pour les oiseaux. Ça m'a fait un chagrin immense. Mourir noyé quand on a soif, c'est con quand même. 

dimanche 13 juillet 2025

142.Un petit pois dans une catapulte.

  Bien sûr, je m'étais dit que j'aurais pu retrouver l'équilibre entre les numéros du blog et ceux de la vidéo de la semaine, communiquer dans l'ordre, obtenir la magique balance entre les arts précieux de mon expression personnelle dont j'ignore si elle trouvera son public dans la durée de mon talent imparti pour un délai qui court de là à là, mais il eut fallu que je m’attelasse à l'écriture de ces bulles d'air, et ces derniers mois je fus happé par mes rougeurs rugueuses d'arrières genoux dont j'ai tardé à faire disparaître les séquelles. Ce que c'est qu'être vivant.
  Maintenant que mon messenger remarche pour des raisons techniques que je n'arrive pas à élucider sur le site réseau social de la mort qui tue où les milliardaires perdent de l'argent à cause d'un gros type orange imprévisible qui gesticule et dont on devrait franchement ignorer les one-man-show, je suis de nouveau en mesure de faire coucou aux gens à qui j'écris pour leur demander s'ils ont bien reçu mon courrier, bien que je ne le fasse pas, par crainte de ne pas être répondu. Ce que c'est qu'être une fille fragile.
  Je n'ai pas encore eu de non livré à cette adresse dans ma boite de la rue Émile Zola de Dordogne, où je ne sais plus trop si je vais revenir beaucoup. 46 personnes à ce jour. Je ferais peut-être mieux après quand j'aurais le hangar à tabac. J'ai tant d'amis lointains depuis que je ne sors plus. 
  Je me suis intenté/inventé/éventé des fans sans leur demander leur avis (À ce propos je devrais renourrir mon Tumblr, encore un truc que j'ai laissé de côté). Peut-être préfèreraient-ils que ce soit moi qui leur envoye des timbres réponses, un nouveau concept : si vous renvoyez ce bon d'abonnement en trois exemplaires, votre vie va également changer en trois exemplaires. 
  Détriplement de la personne alité. Se coucher sur papier pour survivre au razorback, le poil qui le lendemain que tu l'as coupé, toujours revient.
  Se répliquer n'arrange pas tout si j'en crois les mésaventures du pauvre Mickey 17, un bon coréen que je conseille même s'il n'est plus dans les salles de Province, le capitalisme poussé à l'extrême qu'on me dit, parce qu'on peut faire pire qu'aujourd'hui ? Faudrait m'expliquer. Ou plutôt faudrait expliquer à ceux qui sont les perdants de la roue du loto de l'aide américaine, soft power DTC (c'est Dans Ton Cul mais je suis poli alors je mets que les majuscules). 
  On arrête les frais pour aider les gens de loin, ça sert à rien d'aider les pauvres et les femmes à penser comment vivre (un petit peu) mieux en lisant se soignant apprenant des bases pour s'en sortir, programmes de soutiens solaires, ils achètent pas assez de coca et c'est pas des clients de mon hôtel de luxe. Si Dieu bless l'Amérique, ça fait longtemps que le Grand Esprit se fout de sa gueule. Retour de karma des années maudites de la colonisation sans faille des crapules de l'ouest qui croyaient durs comme fer à un mec en croix. Danse avec les clous.
  L'humanité est un grand remplacement permanent, ceux qui ont les subv' sont les meilleurs, toujours. Du Portugal conquérant à l'Espagne grandiose en perruque en passant par la Louisiane en bicorne, ils croient en eux, dur, ils ont des lamas aux poils courts avec des selles de vache dessus, ce sont des centaures couillus plein de vin et de souffre, avec des fusils sans fleur au bout, et ces cons d'indiens n'ont pas de barbe, j'y reviens, il paraitrait que ce sont des personnes qui se mangent entre eux pour de vrai, c'est mal, nous on symbolise, c'est mieux. On est ci-vi-lisé.
  Ailleurs on te dit que l'autoroute ou la déviation à millions, c'est débile, mais tu insistes si tu diriges la région, on a tant investi tu comprends, ce serait dommage de laisser tomber, ça crée des emplois tu comprends, rien que pour ceux qui construisent, déjà. C'est des copains âgés qui voulaient le tracé il y a vingt ans de ça un soir de beuverie au relais du château. De la blague avinée au bulldozer ingrat, c'est toujours des vieux mourants qui veulent continuer le travail pour que les jeunes respirent pas bien, distribution gratuite de pesticides sur tartines de miel au goûter du  Sénat, on peut ? (c'est de l"humour, ne faîtes pas ça chez vous, les artères bouchées feront le travail avant le poison).
  Important le bassin de l'emploi, ça permet de générer du salaire et des pelleteuses, des impôts, des péages des ronds-points avec des noms chanmés, "Giratoire des croutons qui décident", il faut que ça avance. 
  Les logements sociaux, bon, dans le Sud, et un peu partout mais surtout dans le Sud, on s'en branle, ça génère pas assez de revenus, les pauvres mal éduqués n'ont qu'à traverser la rue à la nage. Par contre un grand axe routier, ça permet d'aller plus vite au boulot, bon, c'est cher le péage mais si t'es pas content tu prendras l'autre route qu'on a pas retapé et pis c'est tout. 
  Les gens qui vivaient sur place avant la grosse ligne, on les a viré, les ceux qui défendaient la zone, on les a fait tomber des arbres, puis on a détruit les jolies maisons et relogés les gens dans des immeubles, on est passé au milieu des fleurs qui gênaient avec le goudron et le sable. Pour passer en face avec un arrosoir c'est moins aisé. Le propriétaire du château à côté, on lui a mis les deux fois quatre voies pas loin, c'est quelqu'un qu'on aime pas, machin a dit à truc que ça lui ferait les pieds, rien à péter du monument historique, le progrès Robert, comme dans les années 70, merde. La justice a dit, mais un peu tard comme dans la fable, que c'est pas utile votre projet où vous aviez pas encore les autorisations, là, vous arrêtez le chantier. Oh, mais on a déjà viré tout le monde et tout détruit, c'est con de s'arrêter maintenant, on avait même prévu une aire avec la radio à fond dans les toilettes à camions ! Vite manifs en cocardes ! Libre échange bordel ! Du béton du béton ! Les magistrats c'est des faibles, on s'en branle on vous dit. Ma trace dans l'histoire de l'humanité dans ton slip. On revient toujours aux pneus. Les renards observent de loin le truc. Pour visiter l'ancienne prairie au bout il faudra un peu de perte. C'est joli un renard qui vole, avec une cape et une mitraillette dans un ascenseur c'est mieux.
  La violence démesurée du capitalisme, qui n'est pas si vieux que ça et se transforme déjà en un truc hybride SUV sur parking payant, me fait penser à un socialiste qui croit qu'on va encore voter pour lui aux présidentielles. C'est en train de mourir et ça veut tout emporter avec lui dans le trou noir rien que pour ne pas se remettre en question dans la destruction de tout ce qui l'entoure.
  On est peut-être passés à un monde gratuit sans vraiment s'en rendre compte, quelques robots gestionnaires nous font encore croire qu'on a besoin de payer des programmes, et pourtant les mandarines même pas abîmées sont gratuites à la sortie du LIDL.
  Je vais bien, je dors beaucoup, je découpe ma vie en morceaux pour tenter de voir de quoi demain sera cuit. Depuis ma villégiature de faux riche en attente de l'héritage, je prends des moments pour aller promener papi qui ne sait même plus combien il a fait sur son compte. Le banquier garde un bon souvenir. C'est l'essentiel. 

jeudi 30 janvier 2025

141.Supersceptique.

  45 pages par semaine de dessins, mon mag perso private joke, des trucs divers et variés, ce serait pas mal. Gribouiller, délirer, dire des impossibles blagues, mais pas les mettre en ligne parce que j'ai envie de vivre en bonne santé et de garder mes dents, ou alors je fais des diversions, ou je redessine le dessin, je sais pas. Collégialement débuter avec son équipe de tête, faire des réunions, recoudre mon blouson rouge (c'est à cause de la fermeture éclair qui s'est pétée) enlever mes baskets rouges (aussi, tiens) décroiser les jambes, enlever également ce casque sur mes oreilles qui ne diffuse rien du tout.
  Bon, je reprends. J'ai pas réussi à me concentrer sur le premier texte parce que fallait sortir le petit chien qui déconne après les croquettes. Elle voulait pas faire pipi, juste sortir. Des fois je la fais courir, mais je fais gaffe parce qu'elle se met en travers et je chute.
  J'ai des films à voir, le Procès de Orson Welles de Franz Kafka, le Fabelmans de Spielberg parce que je sais pas, ça me donne plutôt envie de revoir les Indiana Jones, les 3 premiers, les seuls. La suite je n'y crois plus. Dans le 5 (le 4 je n'en parle même pas) il est vieux et en slip avec une batte de base-ball et du brandy dans son kawa. Le Indy 5 avait une intro de fou, mais après c'est parti en saucisse. Peut-être je vieillis, mais j'accepte plus qu'on tue des gens pour rien pour montrer que les méchants sont des méchants. Un méchant qui tue, c'est ok, on a besoin de savoir que tu es méchant, mais en même temps je me dis, et si on montrait un méchant vraiment méchant qui tue pas ? Je suis un foldingo.
  Les idées font un symposium, j'espère commencer à repeindre des trucs, pas forcément sur de la toile, des bouts de papiers, des bouts de tissus déchirés je sais pas. Je sens que je vais pas aller à Angoulême encore cette fois, dimanche y'a un pote qui fait un spectacle l'après-midi, je vais y aller. Avec Aurélia peut-être. La semaine prochaine s'il pleut moins j'irais voir mon vieux. Le courage du volant. J'aime pas aller là-bas. Pas que je veuille pas le voir, le trajet est trop plein de gens qui roulent et je me pose toujours la même question, mais pourquoi qu'on roule ? On est trop nombreux, on devrait pas rouler autant. Qui va où pourquoi faire, est-ce que c'est plus important que moi ? Pas que je me mette en avant, juste je m'interroge surprise. Le bruit, le vroum, la fumée, à quoi qu'on joue ? La plus grosse quéquette, la plus grosse tuture. Il serait si doux que notre monde ait axé ses motivations sur le livre qui va, se promène et voyage. Bibliobus autorisé, avec des bêtes au pas qui tirent le bus, à moins qu'on fasse pédaler dessous des anciens riches, des gnomes mécaniques ? T'as vu le dernier Wallace et Gromit ? Jamais sur de trop longs trajets assurément. La vie en ces temps sans route nous donnerait des villes plus proches, des raisons d'imaginer plus lentes. Le festival de les lunettes, spatiales et imaginaires, l'audio pour ceux qui voient pu. Pour se défendre des non lecteurs d'ailleurs, on les obligerait à faire des stages à l'imprimerie ancienne, il faudrait les olympiades du plus long mot à mettre à l'envers dans la casse. Tu m'étonnes qui z'étaient fort les intellos.
  Des vendeuses au magasin Brico Brico, plein, toutes assez masculines, costaudes à charrier des planches, elles ont des lunettes, me regardent très doux, des conseils de vis et de mélaminés. Je préfère le stratifié. Vous viendriez un soir chez moi planter une cheville à expansion ? Le magasin de fringues j'ai pas pu. Je suis comme un lapin devant un fusil, comprends pas, je fais bouger les cintres comme un bruit de flipper dans Brice de Nice et je choisis rien. J'ai quand même pris des chaussures premier prix faites par un petit vietnamien, histoire de faire marcher la roue, on y revient.
  J'écoute dans la voiture les chansons des dessins-animés de ma jeunesse à gober des séries, déjà, ça finit sur les feuilletons policiers. Mélanges de disco et de musique du futur qu'on imaginait comment que pourrait être le futur. L'intro des cités d'or, le passage parlé de Goldorak, gros bon trip. J'ai même une ou deux émissions de télé. Enfin Récré A2 ! Les années 80 c'était l'époque où les baguettes faisaient trois fois la taille des baguettes d'aujourd'hui, la farine était peut-être moins pure, y'avait moins de graines, mais ça croustillait sévère. Combien de temps que j'ai pas trouvé une baguette qui croustille et chauffe plus longtemps que le temps qu'elle sorte du four ? Quignon monsieur, quignon madame. Mets ta main dans le toaster tu m'en diras des nouvelles.
  J'envisage l'abolition de la violence en relisant la complète d'Elric de Melniboné, avec son épée buveuse d'âmes qui a buté sa copine parce qu'elle avait faim (l'épée pas la copine, ah merde j'ai spoïlé). 
  Et je me suis toujours demandé, si ton épée obtient de la force (et la redonne) en butant tes ennemis et tes potes, quand l'âme est bien essorée, elle va où ? Au recyclage ? Dans les gros containers à fringues envoyés en Afrique ? On relance un programme essorage ? C'est une vraie question.