Je sais pas pourquoi j'ai mis ce titre. Peut-être parce que je viens de voir la série Le monde n'existe pas sur Arte tv (avec un Niels Schneider en forme) du mec qui a aussi fait le film Perdrix, d'ailleurs l'actrice principale de Perdrix elle joue dans la série aussi. Un univers français marrant qui aurait pu durer un peu plus longtemps, brouiller davantage les pistes et moins se répéter, peut-être. Je ne suis pas d'accord avec le critique de Libé qui dit que ça ressemble à un téléfilm policier hexagonal, et puis d'abord quel téléfilm hexagonal ? C'est doux-amer étrange et ça détonne tout en restant ancré dans le réel classique d'un monde qui se cherche encore tant mieux. Un épisode en plus pour développer la tension lentement, faire se rencontrer les fugitifs, diluer le tragique, prendre le temps de l'errance et de la perdition pour une fin plus souple ? J'aime les fins qui finissent bien, non, j'aime les fins qui ne finissent pas.
Lorsque la brume attaque sévère sur nos nerfs fragiles, et que la pluie froide remplit les puits cachés sous les fondations de l'ancienne mairie où je crèche, je me nourris de ce que je ne connais pas et qui possède un brin de poésie et d’ammoniaque, histoire de remplir mon existence lorsque rien ne sort, rien ne vient, tout s'étonne et le corps cède.
L'imagerie cérébrale est une connerie limpide, ni cerveau gauche, ni cerveau droit, juste des courants électriques qui voyagent et se touchent, on a des croyances dures. Les chambres résonnent, les liens se font, se fondent, se croisent, se réinventent, se bousculent, se créent et se détruisent dans une anarchie toute ronde. La bile remonte le soir en gorgée de bière avalée de traviole quand tu me parles pour la huitième fois alors que je regarde la série, je tousse, tousse et pleure. Je tousse surtout du désir de vide abyssal nécessaire au plein dans ces journées sans particulière mousse. Faire ce plein, reprendre ma route, sentir le vent dans les cheveux courts, couvrir sa gorge, jeter enfin ces clopes dégueulasses que je me sens toujours dans l'obligation de finir quand je trouve un paquet gratuit abandonné sur un banc.
Je repense à l'ado que je fus à l'affût du coup qui pleut, maigre et fou sans permis, déconcentré des suites, je ne me fais plus mal pour ça c'est bien. Je le revois ce type d'archétype, pas pressé d'arriver, pas content d'échouer, fâché de tout, n'apprenant rien, peignant juste, à peine, découvrant lentement ce qui fait une vie de recherche, petits tubes d'acryliques, dorés, argentés, magentas, bleus et jaunes primaires, petites toiles formats angelots, papiers d'affiches, avec l'envie d'en découdre, de découvrir un espace secret où l'on me laisse vivre sans bruit (les courriers de papa : attention plus que deux mois et je ne t'aide plus, attention) avec mes jouets plein d'histoires, sans ignorer l'angoisse du monde barbare de l'emploi qui sourd, vivre en équipe, faire sa place dans l'équipe, j'ai pas pu, et pas d'avenir ou de projet autre que tenter de ne pas suivre le chemin merdique de ses parents largués sur le côté de la réussite à tous prix ou de l'hébétude non soignée dans l'isolement subi. L'entourage, c'est aussi important qu'un paquet de palets bretons.
Et si j'étais maintenant le même, dans cette époque là, avec cette actu là, avec la même mère à éponger, le même père à détester, me répétant, je travaille pour ton avenir quand mon présent suait le pauvre, hurlerais-je plus fort encore contre l'hôpital sans moyens, l'école sans moyens, laïcité sélective, me ferais-je déboiter tout pareil par des musclés qui n'aiment pas lire, parce que mes tendons non développés, pompes en toiles, déconcentration ligne principale, éducation corporelle floue, ou parce que je ne sais pas ce que je fais encore là, mon rôle, mon but, mon ordre dans un monde désordre.
Le début, le retard, le retour, lalala, l'histoire personnelle, les échecs personnels, l'absence de soutien ou le refus de soutien se mélangent, gros mots, c'est compliqué. La connaissance des codes sur le pont Napoléon un matin bondé, et la détestation de ces codes, pas le temps de parler, vite vite au boulot, ce qu'il faut dire, ce qu'il faut taire, les années d'errance et l'atelier boulet au pied, ne sachant pas quoi faire d'autre, parlant aux administrés qui ne comprennent pas qu'on aille mal, après tout, on fait ce qu'on aime, non ? Non. On ne fait pas toujours ce qu'on aime, on ne choisit pas toujours, on se laisse bercer, on fait ce qu'on peut même si on n'ose pas. Des regrets ? Bof. Le Yi-Jing est sage, plus sage que le sage et plus sage que moi. Il me dit dégage d'ici, rentre dans d'autres rangs, facilite lentement le départ vers un ailleurs aisé, embrasse une châtelaine, mets des bas pour le débat, déguise-toi en renarde, épile ton dos, mâche une gomme, fume un Schtroumpf.
Cette aprèm dans le bureau du maire (mardi). Il a une toile du Général jeune qui devait appartenir au précédent mais qui est restée. C'est flippant. Des photos de ses gosses prêt de l'imprimante, tout le monde sourit. Un grand bureau avec dessus quatre range-documents noirs rectangulaires les uns à côté des autres. Les arrivées, les départs, les réglés à emporter, les en souffrance. Il ne connaît pas le studio Ghibli, j'ai cité Totoro, Mononoké, Chihiro, rien. Je fabrique des marionnettes, je veux fabriquer des marionnettes. Paul Klee en a fait pour ses gosses à une époque, et Calder un petit cirque, et Kveta Pacovska et son théâtre de minuit, non ? Vous connaissez le Muppet-Show ? Mon entretien est mal préparé. Il n'a pas d'écran dans son bureau, on a pas pu voir mon site Internet. Il a 74 ans, délègue-t-il pour les recherches ? Je le sens ailleurs. Loin. On parle de l'ancien Syndicat d'Initiatives, c'est pour ça que je suis venu, vingt mètres carrés au bas mot, plus salle d'eau, deux grandes vitrines. Combien le loyer ? Oh pas très cher. Oui mais combien ? J'ai pas très envie de refaire vivre un lieu dans un village qui a placé la député RN en tête. Fuir ou rester ? Partir en courant le portrait du général sous le bras ? Le maire parle parle, des choses qu'il fait pour la commune, des choses à faire, et pourquoi vous n'iriez pas dans ce petit local dégueu sans toilettes et sans arrivée d'eau. Vous pourriez demander quand il y a urgence à l'association artistique à côté. Sinon il y a les toilettes publiques plus bas. Personne ne s'en plaint. J'ai pas préparé cet entretien. Je prends des notes pour le prochain, ailleurs. L'idée que les vieux élus se font des artistes.
En me repassant le film, comme je n'ai pas pu montrer de peintures, je sors des carnets, des frises, des dessins. Trop à la fois. Je ne le laisse pas prendre le temps sur les premiers. Brouillon je suis. Ah
oui c'est pour les enfants, mais vous les vendez sur Internet vos
travaux ? Non, je les vendais, mais là plus, je pourrais mais non, je fais des tas de choses, j'ai plein d'idées (je remarque en croisant les jambes que j'ai une tâche de soupe au potiron sur le bas de mon pantalon que j'essaie de gratter discrètement pour la faire partir) enfin, au fond de moi je sais
que je ne fais pas grand chose, mais je tente d'y croire, le foyer où je
réside n'est pas un espace de rebondissements créatifs, les animaux
ronronnent, le chien fait oua oua. Je lui dit pas ça. S'intéresse t-il ? Oui. Un peu. Je ne sais pas. Combien le loyer ? Il me parle des gens qui ont appelé, comme si j'avais envie d'être en compétition, une boite de graphisme qui voulait un peu plus grand, je sens qu'il préfèrerait un truc de commerce. Il leur faudrait peut-être un peu plus d'espace, pour une photocopieuse, une grande imprimante. Vous m'aideriez à installer des étagères pour des caisses de rangements, je demande. Il ne répond pas. A t-il entendu ? A t-il des appareils audio ? Et il y a aussi une troisième boite qui voulait un bureau, ils ont trouvé l'info, ça s'est su, j'ai eu des appels. Mais ils ne sont pas passés. Il n'y a pas beaucoup d'endroits à louer, à moins qu'un particulier achète un bien et loue à des particuliers au rez-de-chaussé. Il me dit des choses que je sais déjà, je trouve l'entretien un peu long.
Il me parle des bâtiments autour à vendre, de l'ancienne pharmacie du haut que personne ne loue, c'est un agent qui doit s'en occuper, il y a le téléphone sur la porte, ça allait se louer et puis non, et avant il y avait deux pharmacies, une en haut une en bas, mais la nouvelle est très bien et au dessus, il y aura des appartements, on en manque vous savez. Je m'en fous. Est-il heureux d'être maire ? Je ne sais pas. Dans cette grande salle, une autre toile peinte dans un coin à l'ombre, de moyen format, avec un hors bord vu de haut et la peinture qui imite bien l'écume de son sillon. Je trouve que cet espace pourrait être une salle de danse. C'est très vide.
Son accueil était cordial, sincère, mais je ne sais pas très bien pourquoi je suis passé. Pour me présenter. Bon. Il a beaucoup parlé, qu'est-ce que je garde de cet échange, 200 euros de loyer ça ira ? Avec ou sans charges ? Il ne dit pas. Je n'ai pas visité le lieu, on verra début octobre, je vous rappellerais, c'est mieux d'avoir un locataire qui dure. J'ai plein d'idées mais mon cœur n'y est pas vraiment. En sortant je croise de gens que je connais un peu, sur la place, on parle météo.
Un lieu qui m'accueille où je puisse écrire, inventer, avec de la lumière et du temps. Bon. Où qu'elle est ma résidence ?
(Ajout de 17h00, après le rendez-vous, je suis allé voir le syndicat d'initiative d'angle de rue passante/pas passante, vidé depuis peu, avec encore un tas de prospectus par terre, depuis dehors, en me penchant, pour vérifier pour la huitième fois comment c'était petit dedans. J'ai, un peu avant, trouvé trois livres dont vous êtes le héros dans la boite à livre cassée du village tout prêt du supermarket, ça m'a un peu remonté le moral).