Bon, il me reste une heure de journée du 16 juillet pour narrer ma trépidante vie pleine de rebondissements et de regards acérés sur un monde en pleine mutation qui n'en finit pas de mutationner car comme dit le dicton : "Reprenez du clafoutis."
Je me suis garé au soleil puis trouvant ça nul, à l'ombre et c'était mieux, pour aller à la plage en étant raccord avec l'heure des marées. J'ai eu du mal à bouger ce matin si tu veux savoir, le cœur vide et à quoi bon, mais comme je m'étais promis de me baigner dans les relents de gazole et les miasmes des alentours tout comme le gros monsieur de hier que j'avais vu dans l'eau près de la jetée et que je m'étais dis, purée, ce type nage dans les miasmes, j'aimerais bien faire pareil, mais là je suis pas équipé alors demain je reviendrais.
Mais les lendemains sont parfois difficiles et il n'y a pas toujours le même allant d'un jour à l'autre, ça dépend ce que tu as fais la veille si tu as bu la poire à papi, et le programme change, c'est la raison pour laquelle j'ai toujours évité de faire des voyages organisés. Enfin si une fois, mais j'étais jeune, c'était l'Espagne et mon cœur était sans expérience.
Dans le bus qui nous emmenait à l'expo de Séville, l'expo mondiale, je sais plus comment qu'on dit, universelle, en 1992, je te raconte cette histoire d'avant les Internets, y'avait la plus jolie fille du bus qui m'avait pris à la bonne en pensant que j'étais le mec cool vu que j'étais mignon, mais ça ne s'est pas passé tout à fait comme prévu.
Après un bout d'après-midi dans un parc à tourner et discuter littérature de tous les livres qu'apparemment elle n'en lisait pas beaucoup, la plus jolie fille du bus est allée faire le tour de la ville avec les sportifs qui avaient beaucoup plus de choses en commun avec elle qu'avec Tom Sawyer ou Robin des bois.
Les sportifs avaient réussi pendant le voyage à changer les noms des listes pour rester entre sportifs, et me refiler le gros con que personne ne voulait dont j'ai subi les ronflements pendant une semaine dans ma famille d'espagnols qui ont dû se dire les français, quand même, parce que cet andouille, un soir, s'est bourré la gueule (en fait les sportifs avaient trouvé marrant de le faire boire) et il a fallu que je le traîne jusque chez nous avec force ahanements et hurlements de sa part, dans une village de 200 âmes à côté de la grande ville, autant dire que sur les derniers jours du séjour, notre réputation fut faite. Non seulement ces petits cons ne tiennent pas l'alcool mais en plus ils font du bordel la nuit alors qu'on tente de dormir entre deux canicules. Et moi qui ne buvait pas encore, j'avais été accusé d'avoir picolé tout pareil. Et c'est après cette injustice sans nom que je fis ma première fugue. La plus jolie fille du bus avait tout vu mais n'avait rien dit pour ma défense et j'en avais été encore plus dégouté.
Le lendemain, arrivés en bus à la 'epo de Séville, le grand grand lieu de tous les pays qui montrent tous un truc qu'ils font bien avec des bâtiments fait exprès pour le truc, je me suis un peu perdu en suivant, nez au vent, les chemins pas balisés comme je fais parfois encore aujourd'hui ça mène à tout.
J'ai suivi un chat, et passé derrière un camion, observé des gros câbles et décidé de voir où ils menaient, plusieurs fausses ruelles entre des bâtiments de chantier qui m'ont fait déboucher dans une sorte d'arrière cour avec des grosses poubelles. Une porte était ouverte. Je suis entré pour aller voir et suis tombé dans des loges. Il y avait plein de costumes en tas ou bien rangés, des chapeaux, des plumes, des robes, des gilets dorés, des accessoires, épées, chandeliers, astrolabes, des malles entassées, ouvertes et fermées, des miroirs avec des ampoules autour, du maquillage, des pinceaux, des moustaches, des perruques, des bigoudis.
J'ai entendu du bruit, j'ai visé une grand malle, je suis inexplicablement monté dedans (j'étais un peu moins grand qu'aujourd'hui) et j'ai refermé le couvercle. Ils sont alors entrés.
C'était pas le plan Cocoon, mais j'ai un peu flippé. Ça causait espagnol, je dirais même castillan, et ça parlait spectacle, je comprenais pas bien avec le couvercle, mais j'ai pigé qu'une représentation allait avoir lieu, et une fille a ouvert la malle, crié, et éclaté de rire. Tous se sont tournés, j'avais un truc en plume ridicule sur la tête et un bout de robe rose enfilé sur mon cou. J'ai souri. J'ai baragouiné que j'étais français que je visitais le parc et que j'adorais le théâtre. Ils m'ont demandé si j'avais déjà été sur scène et j'ai dit oui, ce qui était vrai, mais pas des gros trucs. Ils se sont tour regardés en souriant et m'ont sorti de la malle. La fille m'a emmené prêt d'un portant rempli de pourpoints colorés et en a choisi un, elle m'a demandé d'enlever mes habits. C'était assez facile, un short, un T-Shirt, une casquette, des baskets, une petite banane moche avec mes papiers, un peu de pesetas et des gris-gris marrants.
Je me suis donc retrouvé en caleçon dans une endroit que je ne connaissais pas, avec des gens qui venaient de me rencontrer, trouvant tout naturel de me déguiser en page, ou un truc dans le genre. Mon caleçon étant trop grand, ça faisait des bosses, la fille m'a demandé de l'enlever pour pouvoir ajuster sur moi un collant beige. Elle m'a fait signe de ne pas bouger, a sorti un paravent de derrière une porte. En fouillant dans un tiroir elle a trouvé un slip, neuf (il sortait d'un emballage) et à ma taille. J'ai retiré mon caleçon, mis le slip, le collant, c'était beaucoup mieux. Une sonnerie métallique s'est faite entendre dans le couloir (ce que je supposais le couloir) et le petit groupe s'est un peu plus animé, accélérant les retouches de maquillages, de coiffures et d'assemblages de costumes. Quand la fille a décidé que j'étais paré (je devais ressembler à une sorte de Christophe Colomb jeune, mais pas trop typé ibère) elle m'a passé à un mec à barbe courte qui m'a maquillé vite fait, teint blanchi et deux traits sous les yeux, pommettes rouges, et puis on est sortis de la pièce en silence.
Un long couloir, j'avais bien supputé, avec un sol en fer grillagé qui résonne clong clong, j'avais aussi troqué mes baskets contre des sortes de pompes super conforts en cuir, également à ma taille, elle avait l’œil la nana. On a marché pendant un temps qui dans mon souvenir semblait très long, et on est arrivé sur un plateau géant avec plein de fauteuils en face. Et à la taille du plafond et aux symboles peints partout, je crois des figures du tarot espagnol, j'ai compris que j'étais, justement, à l'intérieur du pavillon espagnol. Le gamin futé quand même à qui on ne la fait pas. Sur la scène, il y avait un décor de quai avec tonneaux et cordages, et sur la gauche par là où on était entrés, la proue taille réelle d'un galion, la Maria c'était écrit dessus. Un des comédiens a parlé à la régie en demandant de lancer la musique, et peu après, du public a commencé à affluer de part et d'autre du haut de la salle qui descendait jusqu'à la scène, sur les gradins en face de nous. Une salle de spectacle confort comme au cinéma. La fille m'a pris à part alors que le comédien principal, ou le narrateur, s'est mis à apostropher les gens et à leur souhaiter la bienvenue.
Elle m'a regardé droit dans les yeux et m'a fait signe que je ne devais pas parler, et là j'ai vu qu'elle était plus jeune que je ne pensai, presque mon âge. Au vu de son physique elle ressemblait beaucoup au comédien qui parlait maintenant plus lentement et commençait à emporter les spectateurs, désormais bien installés dans une histoire que j'allais découvrir avec eux...