Rester drôle, c'est important, le père Ubu l'a bien compris. Il connait son rôle, il gesticule, gigote, s’époumone et passe à la machine à décerveler tous les opposants potentiels à son régime de roi fainéant ivre absolument intéressé par tout ce qui peut l'enrichir sans travailler. Il tue, pille, démembre, trahit sans cesse tous et toutes, cavalcade en pachyderme sur un hippopotame, personne ne l'aime et il n'aime que lui, seule sa femme le fera plus bête qu'il n'est déjà, et il finifuira nu, dans les bois, loin du palais, avec plus rien plus rien, poursuivi par ses fantômes.
Ubu, pièce de Alfred Jarry, est une grosse blague à la face de la vie qui passe à bicyclette, on rit de cette horrible bonhomme qui fait ce qu'il veut et se prend les pieds dans sa haine de tout, et qui ressemble pas mal à Ooggy Boogie dans L'étrange Noël de monsieur Jack, la spirale de la chandelle verte sur le ventre en moins.
Relisons Ubu Roi, il y plein d'histoires marrantes, d'inventions grotesques, de machines improbables et de petits personnages qui courent dans tous les sens pour aller guerroyer, festoyer, se cacher et même pleurer leur sort ridicule de pantins à têtes de bois (c'est une histoire à l'origine pour des marionnettes). C'est un peu beaucoup anarchiste, et ça tape sur l'autorité qui s'en tape et qui tape sur tout le monde.
Nous sommes des humains évolutifs, se jeter en l'air n'est pas toujours une solution, à moins d'avoir un deltaplane. La douceur est souvent reléguée à un programme à suivre quand on aura résolu tous les autres, et c'est bien dommage, car une caresse dans ta journée te permet, si tu y prêtes une attention soutenue au moment où tu la reçois, de passer des heures agréables devant un tableur excel où tu dois lister les ingrédients de la potion qui permet de rendre le boss plus fort dans la jungle de l'offre. Tout envoyer chier et élever trois biquettes est aussi une option. Un jour peut-être nous n'aurons pas trop le choix, nous serons pieds nus à bouffer du fromage de chèvre et faire notre pain sur une terre mer qui n'aura que des archipels.
Les tumultes sont passagers, on aime à croire que quelqu'un d'autre va résoudre le problème à notre place. Ou si on tente de le résoudre, d'autres vont nous dire que ce n'est pas la peine, ou qu'il vaut mieux éviter de s'occuper des affaires du monde, ça ne sert à rien de s'agiter, on s'agitera pour toi. À moins qu'on t'explique carrément que si tu cherches à comprendre ce qui se passe, on va t'empêcher de marcher et te passer à la machine à décerveler, encore.
Internet est une révolution, les dictatures l'ont bien saisi, au propre comme au figuré, c'est un outil fabuleux que les gens curieux, les chercheurs et les savants adorent, car tout y est, le monde entier, les radios du globe, documents anciens, cartes de toutes époques, livres de partout, images, histoires, photos. Biographies, langages, cultures épatantes qu'on ignorait jusque là. Du cul, des astres, des failles, des bêtises en stock, de l'horrible et du n'importe quoi. L'humanité est réunie par cette énergie invisible qu'on peut expliquer de toutes les sensibles ou scientifiques façons, mais qui semble tout de même magique.
Et qu'est-ce qu'on en fait ? Du bien et du mal, des infos contradictoires à vérifier sur place, des nuées de bullshit et des chatons endormis, des heureuses manifestations de l'humour licencié.
Dans l'Europe que j'aime, je peux acheter des champignons de Pologne dans le supermarché du coin où j'appelle Thibault M depuis le parking avec vue sur les arbres. Je ne fais pas toujours le choix de consommer local, la pulsion de la pizza est parfois plus forte. Mon pouvoir d'achat me pousse à me sentir heureux.
Quand les idiots sont légion, il ne reste plus qu'à sortir un bon livre et se cacher sous les couvertures tendues comme une tente berbère dans le salon bibliothèque cuisine, et continuer de croire fort fort que s'envoler avec de la poudre de fée, c'est possible, et que les salauds n'existent que dans les pièces de théâtre pour guignols à bâtons.
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