mardi 14 mai 2024

114.Les grands ruisseaux font les petites rivières.

   En rapport au numéro du chiffre de ce post apocalyptique, si je devais me caler sur la vidéo de la semaine, c'est comme si j'aurais vingt vidéos de retard vu que j'en suis à la 133. Comme si j'aurais, tout à fait, je fais ce que je veuilles.
  J'ai arrêté d'écrire sur ce blogue depuis environ quelque temps déjà et c'est mal (bruit de lampe de chevet tapée plusieurs fois sur la crâne). Il y a des gentes qui aiment mon écriture particulière de jeudemoteur de recherche, et je les délasse. Les délaisse, pardon. 
  L'absolue concentration peut s'obtenir en tentant de chasser les papillons de papier qui s'échappent des cartons anciens. Je m'explique. Mon formator, un formateur mentor, nous avait coaché tôt : "Gardez des traces !", et c'est sous ce capuchon de stylo stabiloteur mental que ma vie se cala. J'ai parfois jeté des carnets de périodes que je prenais pour nulles (les années classe prépa de théâtre, ouhlala) et je le regrette aujourd'hui, mais dans l'ensemble, j'ai fait le job de marqueur, j'ai stocké des notes de ce qui se passa dans mon esprit depuis mes 18 ans environ. Avant il n'y avait rien.
  En arrivant en Aquitaine, on n'en parle pas assez, le choc Cthulhuturel fut de masse, de taille cyclopéenne, de résonance auditoriumesque. Il ébranla mon coeur, mes os, mes organes cachés et moins, tout fut pris de panique, je n'y comprenais rien (mais alors, vraiment). Passer du catho carré dans la cour à cathéter laïque aux horaires attaqués, biberonné de Sud-Ouest, je n'avais pas les armes, la formation ou le modèle. 
  Ici, les gens n'étaient pas les mêmes.
  Déjà lorsque je pris la décision de quitter les murs de la déraison familiale haute-saônoise pour aller me colter à une autre bien plus velue, quoique moins insidieuse, je m'étais pris quelques claques, réelles et fantasmées, car j'avais un an de retard sur le processus intégratif (redoublement déjà traumatique en cinquième où tout mes potes passèrent la classe au dessus sans moi alors que j'étais plus intelligent qu'eux tous réunis, déjà, système scolaire français merveilleux) et dix ans sur le mental, ma vie s'étant bloquée sur mes dix ans, je digère très lentement les traumas shakespeariens des soirées alcoolisés d'une maman retorse et pleurant à genoux qu'elle va changer si seulement on lui laissait le temps. Mais il n'y a jamais le temps.
  Au fond du puits qui donne sur le A, cette décision fatale futile de départ barbare où je quittais ma première copine dont je n'avais pas trouvé le bon trou et m'étais endormi dépité sans faire grand chose, elle aussi car elle était ivre, quoique consentante (tu fais attention à pas me venir dedans), je me demandais par quel bout j'avais fait ce choix débile de quitter encore mes amis que j'aimais pour un hypothétique ailleurs que j'aimais pas.
  Fut-elle de mon fait véritable ou insidieusement proposée par les vents contraires du ras-le-bol quotidien impossible à saisir de mes hébergeurs sadiques qui me répétaient en boucle comme dans un bon roman de Roald Dahl : "On est pas à l'hôtel, tu ne nous plait pas dans ton attitude équivoque de jeune homme vouté et peu musculeux, tu n'es pas à la hauteur mais passe moi quand même la boite de conserve là-haut, tu ne fais rien comme il faut et de toutes façons tu n'arriveras à rien car tu n'es pas normal, tu as des problèmes et il te manque quelque chose pour être..." ?
  C'est donc à 19 ans que je pris la mesure de ma démesure et cru que j'allais percer quelque chose quelque part ailleurs. Je m'interroge souvent sur ma quête idiote de chevalier névrotique mal dégrossi sans repères. Pas d'éducation classique, un amour très ténu de mon estime personnelle, pas de moments joyeux véritables ou organisés, une sourde et perpétuelle remontrance qui me faisait comprendre que je ne serais jamais au niveau de mon frère mort avant moi (du moins de ce que mon frère aurait pu être avant moi s'il avait vécu plus qu'au tout début de sa vie, le Jean-Martial 1, souvenons-nous). Jamais.
  L'arrivée dans la ville aux cépages entêtants, pesticidée de partout autour, fut une ouverture à un monde inconnu où je m'entrainais déjà à saboter ma place, un étrangement viscéral dont les règles simples étaient là pour être bousillées au mauvais moment quand tout était acquis. J'avais peu de clefs et je devais tout apprendre, avec une mère qui n'avait pas pris le temps de cadrer mes attentes et encore moins les siennes. Comment pensai-je alors ? 
  Quand je relis mes notes, quand je revois mes courriers, mes illusions, mes désirs de cette arrivée, je vois un très très jeune homme paumé comme pas permis avec pas du tout de curseurs et une ignorance totale de ce qu'il faut faire pour s'en sortir, un minimum de plan, une once de cartographie apaisée, même dans le feu des découvertes. 
  Les parents sont des maîtres qui jouent ou ne jouent pas leurs rôles de pédagogues autonomes. Mon padre n'avait rien dit sur comment il fallait vivre dans le monde tout en me renvoyant sans cesse dans les cordes en disant à d'autres que je devais trouver tout tout seul et que aider d'autres enfants que toi c'est bien car tu es nul. Et de toutes façons tu es nul. Enfin j'eusse aimé qu'il me qualifiât islamique et ostentatoirement, pardon aux familles, avec des mots crus de son cru, mais c'était plutôt des sourcils levés, des soupirs, des agacements fâchés genre j'ai autre chose de mieux à faire et une question sourde qui disait sans dire que ma place n'était pas ici (c'est du moins ce que mes souvenirs en disent) et que j'étais juste toléré parce que tu restes mon fils mais quand même, laisse-moi tranquille, tes questions sur le monde ne m'intéressent pas, j'ai ma télé pour parler avec, ça suffit. Pour les autres enfants qu'on préfère aider, ça, ça a été dit crûment, je me souviens même avoir dit qu'on ne pouvait pas dire ça, et après mes notes à l'école ont, bizarrement, baissé. L'encouragement mon pote, pas mieux.
  L'image que je lui renvoyais, grand, maigre, utilisant le téléphone de la maison pour appeler des copines pendant des heures et c'est trop cher on va couper le téléphone et cette semaine pas d'argent de poche, n'était pas l'image qu'il aurait voulu. Il eut fallu que je brillasse modeste et que je sois confiant et batailleur, avec une balle au pied et un fusil à l'épaule, un petit braconnier espiègle mais intégré, l'abbé Pierre du chasseur français. Mais l'image qu'il aurait voulu, il fallait la deviner et ce n'était pas clair. j'aurais du être une fille propre sur elle, présentée par ses parents, qui savait repasser, faire à manger et le ménage en souriant, toujours. Et accessoirement fabriquer des meubles.
  Arriver sur le sol girondin me ramenait aux racines de mes ancêtres et à la fois à l'espoir d'un ailleurs plus grand, une liberté plus simple. Je n'avais pas compris que mes valises étaient lourdes et ma mère dingue. Premier mauvais choix au lieu de rester sage en pension dans le Doubs et calculer un peu la suite en pensant à demain. Mais la pression de mon vieux était toujours là, elle n'est d'ailleurs jamais vraiment partie, cherchant un après, un moment mieux, un futur meilleur où j'aurais enfin réussi au niveau de ses trente glorieuses, niveau toujours trop élevé, résultats jamais satisfaisants, carnets de notes pas possibles, et vacances scolaires souvent utilisées pour me coller dans des cours supplémentaires pensionnés où la distraction n'était pas bienvenue parce que tu dois te mettre à niveau, tu es trop mauvais. 
  Je ne m'étonne pas trop d'avoir vrillé longtemps sur un chemin désocialisé où plus ça devenait grand, plus je faisais n'importe quoi pour tenter de survivre dans les allées des espaces supermarchands où les caddies sont les satellites du voyage jusqu'au bout de la caisse.
  Un an plus tard quand je vins passer des vacances chez eux, après avoir vécu une année de stress avec ma mère perchée, ma chambre était devenue une chambre d'amis. Ma belle-mère me dit :"Mais tu étais parti !". Mon père avait continué à se débarrasser de toutes mes affaires, livres et jouets. La déconstruction de ma personnalité aurait pu être un tremplin pour m'engager dans la marine, au lieu de ça, je pris un billet vers Lyon pour revoir la fille un an auparavant quittée.
  Ce fut un fiasco. Et le nom de mon futur cheval de justicier masqué.

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