mardi 25 avril 2017

47.L'amour du riche.


  Je me souviens de Jonathan et Jennifer, les justiciers milliardaires. J'étais jeune quand passait cette série télé (à l'époque je regardais la télé) enfin plus jeune qu'aujourd'hui. Un gamin. Je ne pensai pas que je finirais artiste, alors. Que le temps est fugace et les profits teroles. Bien. C'était une série télévisée qui passait sur Arte, enfin sur La Cinq, ou sur France deux, ou FR3, ou Antenne 2. Je ne me souviens plus, tout cela est si loin et mon cœur lalala. Internet existait mais personne n'était au courant. 
  Donc, c'est deux milliardaires avec un majordome alcoolique à gros nez qui vient toujours les sauver dans les situations désespérées (ils gagnent toujours à la fin, comme les chevaliers au grand cœur, mais je digresse) et il a plein de fusils à pompe et de pièges-à-loups dans son coffre de la jaguar. Ils s'aiment et se le disent, souvent dans la baignoire, et ils se font des bisous dans le noir (beaucoup de rimes en oir ce soir). L'ambiance est un peu entre un suspense à trois francs (on ne sait jamais, je replace cette monnaie ici au cas où) et un catalogue des laques de cheveux pour gens qui dans toutes les situations ont la raie au bon endroit. 
  Les gazs CFC n'étaient pas encore interdits, la couche d'Ozone n'existait pas et les abeilles ne mourraient pas par centaines de milliers sous les coups d'un Glyphosate aussi social-traître qu'un des patrons du cac40. C'était le bon temps, et je mangeais du Nutella sans penser aux Orangs-outans de Sumatra ou de Bornéo et à la déforestation forcée pour produire de l'huile de palme. Les Hart vivaient dans le manoir Hart, enfin je vous dis ça de mémoire parce que je ne me souviens plus très bien. Ils étaient les rois de toute la belle société, ça c'est sûr, c'était dans le générique. On peut pas dire que c'était des candidats anti-système, quoi. Et avec le temps qui passe, je me suis demandé si les Hart étaient vraiment des justiciers. Parce que s'ils étaient milliardaires, d'où venait l'argent ? Il y avait bien la Hart entreprise, mais qu'est-ce qu'on y faisait là dedans ? Et pour devenir si riches que ça, avaient-ils délocalisés hors des frontières, de l'Europe à l'Oural, par exemple ? Et puis les méchants combattus, n'étaient-ils pas au fond des prolétaires nécessiteux qui désiraient seulement retrouver un peu de cette dignité perdue qui fait si mal dans les bassins houillers abandonnés ohé ohé ? Et Jonathan Hart avait la même calvitie naissante que moi sur le front de gauche. Quelle idée aussi de vouloir se laisser pousser les cheveux à 42 ans même si je fais moins quand mes cheveux sont propres et ma barbe à papa rasée. Sauf que ce n'est pas une calvitie, c'est juste que mes racines sont hautes, c'était déjà comme ça il y dix ans, je suis prêt à le jurer devant un tribunal pour hérétiques, contre, je sais plus. 
  Jennifer, quand à elle faisait dans la presse, genre reportages super intéressants sur les grandes fortunes qui font des bêtises. Au canard enchaîné américain, quoi. Avec mes hautes racines, je me flattais d'être de haut lignage et puis j'ai compris qu'on se moquait de moi, de ma maigreur et de mes grands bras, de ma façon de tourner la tête rapidement quand on m'adressait la parole et de la façon aussi dont je rangeais mes poneys arc-en-ciels sur mon étagère rose. Plus tard j'ai compris que les Hart étaient jaloux de mon talent, car je les avais humiliés plus souvent qu'à mon tour aux fléchettes, dans ce pub irlandais dont le nom m'échappe, cette fameuse nuit où les morts-vivants firent tant de raffut après la finale de la coupe du monde de hockey sur ramée, gagnée, si je me rappelle bien, par les Fraiseurs Cireurs de Ipswich. Grande équipe. 
  Avec le temps, j'ai compris que les gens fortunés étaient mes amis, car il faut savoir raison garder et tendre la main au tout venant quand on ne sait plus comment payer ses dépenses faramineuses pour entretenir la paix entre les peuples de ma rue, dont je devine l'absolue tentation pour le chaos révolté des pavés dans la mare. On fait des amalgames pas possibles entre les classes qui s'affrontent, alors que dans la vraie vie, c'est toujours l'argent qui gagne à la fin. Mais les crapauds se font rares en ces temps de misère.