L'envie,
c'était de peindre en retrouvailles avec cette façon de laisser
venir les figures. De trouver cette énergie de refaire des toiles,
sans forcer, les fabriquer, les découper, les tendre sur des châssis
montés au marteau en caoutchouc d'Amazonie, poser de la craie
concassée liquide dessus pour rendre le support plus opaque et dur,
mettre en avant cette faculté de superposer des couches d'acrylique,
des couleurs qui se mélangent et des animaux qui surgissent.
J'ai
fait comme j'ai pu pour organiser l'événement, je ne sortais pas
des masses dans les endroits où l'on doit se montrer, je continuais
de regarder des collègues faire comme ils pouvaient aussi, mais pas
partout, car sans voiture la vie ne va pas sur la rocade.
J'ai
minimisé les mails, j'ai pas eu très envie de faire le bourrin,
même si j'ai un peu insisté gentil pour deux trois personnes dont
j'aime la présence, c'est sans doute idiot de s'attacher à son
historique Internet, mais j'aime les marque-pages. Je n'ai pas
toujours été à bonne école, trouver sa façon est comme se
retirer des rails lorsque le TGV radine.
J'ai
eu des leçons de conduite et réussi mon code. Je n'avais plus
d'argent pour les leçons alors j'ai attendu de refaire des images.
J'ai
donné à mes amis des signes de tension, et à des proches des
explications sur comment j'étais où pourquoi, redonner le parcours
et expliquer que ce pas à pas est pensé, senti, goûté et
confiance. Et ce processus de transformation lit-quand-tropique
nécessaire pour retrouver la foi dans le faire, dans le je fais ça
et je fais d'autres choses mais c'est un tout et ça rassemble, ça
veut relier, ça veut faire partie de Télérama, et en même temps
de l'Aquarius, et de la forêt primaire qui n'existe plus que dans
les livres.
On
ne m'a pas toujours cru parce qu'on se demandait ce que je foutais et
pourquoi je ne mettais pas en place un traditionnel démarchage en
galerie des glaces, ou un mi-temps en atelier arts plastiques, et
j'ai sans doute parfois mal expliqué cette pensée que j'attendais
le bon moment où tout serait clair, où il n'y aurait plus
d'efforts, juste un flux de création dans le flux de la vie, avec
acceptation des contradictions inhérentes au quotidien, écrire un
roman, faire la vaisselle.
Et
puis le passage du je n'y crois plus parce que déjà mort à j'y
crois mieux parce que mort-vivant.
Je
savais intérieurement que tout se relierait à un instant t. Et je
savais que c'était bullshit et que l'instant n'existe que dans le
moment où l'on accepte tous les instants comme des instants t. Avec
des siestes.
J'ai
aimé les gaufres au miel.
Le
parcours de dix ans et demi d'atelier (bientôt) avec vitrine sur la
rue m'a demandé beaucoup de réflexion, même dans une maison sans
soleil. C'était pas tout de suite mon lieu, et il a fallu
l'apprivoiser, puis le laisser diriger, sentir les murs avoir des
oreilles, nettoyer devant aussi, souvent parce que sinon le temps
qu'un balai de la mairie passe, les rats ont le temps de construire
une cathédrale. Je n'ai pas voulu devenir commerçant mais j'ai
appris les ficelles, les baguettes et les bâtards.
Au
début, devant, en juin 2007, il y avait des poubelles. Puis c'est
devenu une place de voiture où parfois les gros camions du cinéma
fermaient totalement la grotte, et tu as beau demander gentiment
d'intervertir avec la Kangoo du catring, on te regarde comme un étron
flottant dans le grand bassin, un soir de juillet, quand il a fait si
chaud et qu'on doit évacuer trois heures pour nettoyer alors que la
fermeture est dans deux.
Le
rangement du lieu fut une odyssée.
C'est
difficile de rendre une exposition attractive et dire combien ça
circule. Que j'ai peint tout en même temps et que les toiles se sont
accrochées presque toutes seules aux bons endroits.
Maintenant
j'ai l'histoire. Je peux faire voyager. Et c'est aussi intéressant
que dans un musée ou avec des professionnels de l'installation qui
ont le diplôme ou les concours pour dire qu'ils sont capables.
Je
rencontre encore aujourd'hui des gens qui sont totalement lucides et
bons, aussi doués pour bien voir que les curateurs les mieux payés.
Ils m'aident à faire sortir les mots. C'est l’électricité des
âmes.
J'aime
l'atelier parce que c'est direct, c'est n'importe qui, c'est tous les
publics. J'ai eu tous les publics.
J'ai
mal accueilli bien sûr, parfois, j'ai merdé (pas sur cette expo, je
parle d'avant, hein, du moins j'espère...) pas réveillé, au
téléphone, pas assez souple, prétentieux un peu, cynique pas
beaucoup mais c'est arrivé. J'ai pas vendu alors qu'il aurait fallu,
parfois, cela m'aurait permis plus tôt de m'installer à Bruxelles,
ou de louer la place des Quinconces pour inviter mes copains
britanniques qui font des concerts géants expérimentaux avec des
bruits de la galaxie en sourdine. Mais je ne peux pas toujours tout
gérer, c'est trop de connerie que de penser qu'on gère. D'accord il
y a des règles de base pour l'intendance, mais face à une fuite
d'eau, l'homme est une cascade.
Et
j'ai beaucoup beaucoup changé, je pourrais faire un discours avec ça
dans un théâtre, avant la présidentielle, pour être intronisé
par la droite que j'aurais ravagé de thématiques haineuses pour
brasser large et diviser mon pays et mes hérissons plats.
C'est
peut-être pour ça que j'ai envie que des gens viennent (sur
rendez-vous à partir de lundi 5 et jusqu'à samedi prochain parce
que après va falloir s'y remettre les copains). Pour donner cette
circulation sans m'étendre. Donner la carte. C'est harassant de
chercher la pureté et d'être pris pour un gros naïf, ce que je
suis encore tout de même un peu, ça conserve, la foi est un système
qui repose sur la croyance du ça va marcher.
Je
n'oublie pas mes promesses faites aux officines et autres cabinets
noirs de l'entre-deux mer. Je voudrais revoir les ceux qui sont pas
loin et les amener à reconsidérer le parcours, j'ai un mot du
médecin, et revenir à cet instant expositionnel et fabriquer une
équipe qui va vers le sauvetage de l'humanité et du tapis permanent
de mégots sur le trottoir aux tessons verts et blancs que les vélos
abhorrent.
Je
comprends pas comment j'ai pu croire un instant que je ne réussirais
pas à ressortir ce qui fait que je suis unique et totalement prêt
pour donner au monde de ma rue de ma ville, une fantaisie nécessaire
toute en courbe, traversée par toutes les expériences et
fantastiques rencontres banales d'un ballet de passants qui
nourrissent mon quotidien. Avec des siestes.