samedi 3 novembre 2018

69.Année Héroïque.

  L'envie, c'était de peindre en retrouvailles avec cette façon de laisser venir les figures. De trouver cette énergie de refaire des toiles, sans forcer, les fabriquer, les découper, les tendre sur des châssis montés au marteau en caoutchouc d'Amazonie, poser de la craie concassée liquide dessus pour rendre le support plus opaque et dur, mettre en avant cette faculté de superposer des couches d'acrylique, des couleurs qui se mélangent et des animaux qui surgissent.
  J'ai fait comme j'ai pu pour organiser l'événement, je ne sortais pas des masses dans les endroits où l'on doit se montrer, je continuais de regarder des collègues faire comme ils pouvaient aussi, mais pas partout, car sans voiture la vie ne va pas sur la rocade.
  J'ai minimisé les mails, j'ai pas eu très envie de faire le bourrin, même si j'ai un peu insisté gentil pour deux trois personnes dont j'aime la présence, c'est sans doute idiot de s'attacher à son historique Internet, mais j'aime les marque-pages. Je n'ai pas toujours été à bonne école, trouver sa façon est comme se retirer des rails lorsque le TGV radine.
  J'ai eu des leçons de conduite et réussi mon code. Je n'avais plus d'argent pour les leçons alors j'ai attendu de refaire des images.
J'ai donné à mes amis des signes de tension, et à des proches des explications sur comment j'étais où pourquoi, redonner le parcours et expliquer que ce pas à pas est pensé, senti, goûté et confiance. Et ce processus de transformation lit-quand-tropique nécessaire pour retrouver la foi dans le faire, dans le je fais ça et je fais d'autres choses mais c'est un tout et ça rassemble, ça veut relier, ça veut faire partie de Télérama, et en même temps de l'Aquarius, et de la forêt primaire qui n'existe plus que dans les livres.
  On ne m'a pas toujours cru parce qu'on se demandait ce que je foutais et pourquoi je ne mettais pas en place un traditionnel démarchage en galerie des glaces, ou un mi-temps en atelier arts plastiques, et j'ai sans doute parfois mal expliqué cette pensée que j'attendais le bon moment où tout serait clair, où il n'y aurait plus d'efforts, juste un flux de création dans le flux de la vie, avec acceptation des contradictions inhérentes au quotidien, écrire un roman, faire la vaisselle.
  Et puis le passage du je n'y crois plus parce que déjà mort à j'y crois mieux parce que mort-vivant.
  Je savais intérieurement que tout se relierait à un instant t. Et je savais que c'était bullshit et que l'instant n'existe que dans le moment où l'on accepte tous les instants comme des instants t. Avec des siestes.
  J'ai aimé les gaufres au miel.
  Le parcours de dix ans et demi d'atelier (bientôt) avec vitrine sur la rue m'a demandé beaucoup de réflexion, même dans une maison sans soleil. C'était pas tout de suite mon lieu, et il a fallu l'apprivoiser, puis le laisser diriger, sentir les murs avoir des oreilles, nettoyer devant aussi, souvent parce que sinon le temps qu'un balai de la mairie passe, les rats ont le temps de construire une cathédrale. Je n'ai pas voulu devenir commerçant mais j'ai appris les ficelles, les baguettes et les bâtards.
  Au début, devant, en juin 2007, il y avait des poubelles. Puis c'est devenu une place de voiture où parfois les gros camions du cinéma fermaient totalement la grotte, et tu as beau demander gentiment d'intervertir avec la Kangoo du catring, on te regarde comme un étron flottant dans le grand bassin, un soir de juillet, quand il a fait si chaud et qu'on doit évacuer trois heures pour nettoyer alors que la fermeture est dans deux.
  Le rangement du lieu fut une odyssée.
  C'est difficile de rendre une exposition attractive et dire combien ça circule. Que j'ai peint tout en même temps et que les toiles se sont accrochées presque toutes seules aux bons endroits.
  Maintenant j'ai l'histoire. Je peux faire voyager. Et c'est aussi intéressant que dans un musée ou avec des professionnels de l'installation qui ont le diplôme ou les concours pour dire qu'ils sont capables.
  Je rencontre encore aujourd'hui des gens qui sont totalement lucides et bons, aussi doués pour bien voir que les curateurs les mieux payés. Ils m'aident à faire sortir les mots. C'est l’électricité des âmes.
  J'aime l'atelier parce que c'est direct, c'est n'importe qui, c'est tous les publics. J'ai eu tous les publics.
  J'ai mal accueilli bien sûr, parfois, j'ai merdé (pas sur cette expo, je parle d'avant, hein, du moins j'espère...) pas réveillé, au téléphone, pas assez souple, prétentieux un peu, cynique pas beaucoup mais c'est arrivé. J'ai pas vendu alors qu'il aurait fallu, parfois, cela m'aurait permis plus tôt de m'installer à Bruxelles, ou de louer la place des Quinconces pour inviter mes copains britanniques qui font des concerts géants expérimentaux avec des bruits de la galaxie en sourdine. Mais je ne peux pas toujours tout gérer, c'est trop de connerie que de penser qu'on gère. D'accord il y a des règles de base pour l'intendance, mais face à une fuite d'eau, l'homme est une cascade.
  Et j'ai beaucoup beaucoup changé, je pourrais faire un discours avec ça dans un théâtre, avant la présidentielle, pour être intronisé par la droite que j'aurais ravagé de thématiques haineuses pour brasser large et diviser mon pays et mes hérissons plats.
  C'est peut-être pour ça que j'ai envie que des gens viennent (sur rendez-vous à partir de lundi 5 et jusqu'à samedi prochain parce que après va falloir s'y remettre les copains). Pour donner cette circulation sans m'étendre. Donner la carte. C'est harassant de chercher la pureté et d'être pris pour un gros naïf, ce que je suis encore tout de même un peu, ça conserve, la foi est un système qui repose sur la croyance du ça va marcher.
  Je n'oublie pas mes promesses faites aux officines et autres cabinets noirs de l'entre-deux mer. Je voudrais revoir les ceux qui sont pas loin et les amener à reconsidérer le parcours, j'ai un mot du médecin, et revenir à cet instant expositionnel et fabriquer une équipe qui va vers le sauvetage de l'humanité et du tapis permanent de mégots sur le trottoir aux tessons verts et blancs que les vélos abhorrent.
  Je comprends pas comment j'ai pu croire un instant que je ne réussirais pas à ressortir ce qui fait que je suis unique et totalement prêt pour donner au monde de ma rue de ma ville, une fantaisie nécessaire toute en courbe, traversée par toutes les expériences et fantastiques rencontres banales d'un ballet de passants qui nourrissent mon quotidien. Avec des siestes.