vendredi 18 mai 2018

66.Folio Benjamin.

  Béni soit Benjamin Chaminade, australo pis tech (c'est un bon manutentionnaire) mon cher cousin côté maternel, qui sait poser les bonnes bombes là où ça fait sens. N'allez pas le prendre pour un terroriste, il ne sait pas, à ma connaissance, jouer du saxophone.
  En m'injonctant (du verbe injoncter) l'idée, non négligeable de sortir de ma cave (qui est au rez-de chaussée et qui donne sur la rue, quand même) il tape dans le mille et fait un score que même un dauphin ne pourrait réussir au flipper. Il me propose, avec parcimonie et possibilité de refus contre lettre recommandée en double exemplaire, d'être surprenant, de sortir un peu de mes lignes bafouilleuses (j'extrapole, hein...) et promener mes jambes ailleurs avec la caméra.
  Merci de me motiver pour quelque chose, je suis déjà très occupé, mais nous allons tenter de faire le tour de la question à cloche-pied afin de rester amis, lointains certes, et cousins, indubitablement.
  De cet iconoclaste furtif (les cousins sont souvent furtifs), je garde plusieurs images d'enfance heureuse et bondissante dans son manoir fermier du Gers (nous venons d'un haut-lignage EDF) loin d'ici, pendant les vacances, je ne sais plus lesquelles, quand j'étais moins grand, avant la débâcle de nos deux familles respectives, chacun sa merde.
  Chez lui, dans les années 30, les nuits furent redoutables. Car si, par un malheureux malheur, l'envie nous prenait de faire pipi ou autre chose, et si, par un hasardeux hasard, le pot de chambre était ailleurs ou occupé, nous devions nous rendre, parfois seul, avec une lampe tempête vacillante, allumée au silex et remplie de combustibles incertains et malodorants, jusque dans la dangereuse toilette à fosse septique où les araignées nous attendaient dans l'ombre de l'ampoule clignotante, après avoir traversé sous la pluie battante un interminable champ de boue et de ruines et de loups, (c'était l'hiver et le Général Custer avait encore perdu des hommes face aux indiens en plastique de la Foirfouille, où tu trouves de tout si t'es malin, il y a plein de bonnes affaiiires) pour arriver échevelé livide à la porte blanche de peinture écaillée, ouverte en haut et en bas, laissant passer le vent de l'enfer de la mort de la peur, et qui claque claque claque des dents, tu m'attends j'ai pas fini, tu m'attends, tu m'atteeeeends, maiiiiis, j'ai pas finiiiiii.
  Plus tard, en vieillissant, comme tout le monde, on piquait des Lui ou des Playboys à son père, mon oncle, pour voir des nichons avant Internet. La maison avait changé, transformée en immense salle de jeux de Noël avec des trains électriques pas en grève et sans lutte sociale où l'on regardait la télé en mangeant des papillotes à pétards sur les assiettes retournées. Le soir, dans les piaules (où cette fois il y avait des toilettes accessibles loin des fantômes de la cour) tout au bout du bâtiment qui était un peu le quartier des enfants, on avait le droit de veiller en lisant le guide des Castors-juniors devant les grands papiers-peints de New-York, ou d'une autre ville à buildings, et l'on épluchait le grand livre des blagues RTL en se poilant jusqu'à plus d'heure malgré les couvre-feux des adultes alcooliques.
  Après ça, il a fallu grandir, voir et comprendre, un peu dans le désordre, ce que je foutais sur terre, pourquoi j'étais dans ce milieu là de où je ne sais plus trop si j'en fais partie d'un, et comment convaincre, et me convaincre de mon bon droit d'être, alors que la question ne devrait même pas se poser, mais que faire quand 1800 gendarmes débarquent chez toi pour t'expliquer que ta cabane est pas aux normes et qu'il va falloir te régulariser et fissa si tu veux pas qu'on te marave la face à coups de lacrymo et de tonfa et tu réponds en lançant des cocktails que Tom Cruise ne voudrait pas dans son église, au lieu de ployer comme un bon citoyen qui vote extrême-droite en pensant que ça va lutter plus facilement contre le réchauffement climatique, c'est la faute aux gens qui nous envahissent si les oiseaux, les singes, les globicéphales à la hache, les insectes, les abeilles et les hommes politiques de gauche meurent dans l'indifférence générale. Comme dirait Francis-Jacques Brel dans sa chanson engagé dans les bois espagnols sur Henri David Taureau : Est-ce que ce monde est sérieux ?

  En février 2016, après Mirepoix Socialize (les dates sont pas raccords sur Youtube parce que une fois j'ai effacé tout, et pis j'ai remis) j'ai tenté de faire des vidéos avec mon appareil photo pourri qui n'est même pas à moi mais à ma copine, et qui est tombé l'été dernier sur le dur carrelage rouge de la maison du sud aux fenêtres vibrantes donnant sur les camions, et qui déconne quand on le bouge trop, et qui prend l'humidité et fait crrr après si je vais dans la nature avec.
  J'ai trouvé le petit logiciel pas compliqué pour couper les images, et je me suis dit ça va m'aider vu que j'arrive plus.
  Et progressivement comme à mon habitude, j'ai bifurqué. D'un truc où je voulais faire sérieux avec une idée de montrer mes travaux, j'ai fait l'andouille, parce que c'est un peu ma nature, et que rire de soi me permet de ne pas me suicider tous les deux jours. Même si certaines personnes ne comprennent rien à cet humour-ci. car c'en est un, si ?
  Pourquoi se dépeindre comme un être perplexe qui ne réussit pas grand chose et qui semble tourner en rond et rond, est-ce bien moi, est-ce ma vie quotidienne d'atelier-bus-maison, maison-bus-atelier-Biocoop-atelier-librairie-atelier-bibliothèque-atelier ? Oui et non.
  En 2015, j'ai vécu deux moments qui m'ont clairement fait comprendre que ça n'allait pas dans le sens de la marche (références nécessaires). Déjà. J'ai voulu questionner ma méthode et faire un PLAN, encore un, pour pas-à-pas retrouver le pourquoi de comment j'ai pas su faire ce que je voulais vraiment faire, et même que je suis pas certain que ce soit ça. Tout l'intérêt de ma vie se résume dans mon doute total face à l'essence. Je pourrais sans aucun doute devenir un nuage flottant et me laisser porter par des sangliers radioactifs sur des stations d'info en continu, mais j'hésite.
  Ma (dé)formation Beaux-Arts de 1996 à 2000, parce que je ne savais pas bien quoi faire on m'avait dit va voir, m'a appris que l'on peut très bien fabriquer des choses inutiles et pas vendeuses qui peuvent être belles dans la tête mais pas dans le portefeuille. J'étais pas en design. Et je voulais pourtant continuer de croire que la peinture est possible comme un autre monde tout ça. Le plastique c'est fantastique.
  Des années et des années et des des années et des années à ne pas savoir comment parler, à se prendre des vents dans sa ville, à retomber sur les pas de l'argent qui vient de temps en temps quand je me souviens comment ça marche, mais l'expo à suivre approche promis, ont tanné mon cuir de veau, et j'ai un temps cru que provoquer les choses pouvaient être ma voie. C'est ce qu'il y a d'écrit dans les guides. Pas attentiste non plus, juste heureux de faire ce que je fais un peu chelou bizarre mais pas trop.
  Aujourd'hui je fais à manger pour ma moité de baleine et je prépare plein de trucs en secret j'y crois je me le fais croire je veux y croire, en concentrant mon attention sur l'envie de défendre une manière de faire à côté, mais là, loin des guerres, proche des cailloux où coule un ruisseau frais de marmotte. J'ai pigé que mon inspiration grossit quand je parle d'autre chose, dés que je m'implique trop, que j'explique ma mère ou que je justifie ma race, mon cerveau bugue, et Le Bugue c'est pas loin des Eyzies.
  Les souvenirs d'enfance modifiés par les trous de ver, le goût des nénuphars envahissant la nage, la défense de l'écosystème de proximité, la chasse aux mégôts sauvages qui finiront tous, à la mer si tu n'y prends pas gare de Sète, le ramassage scolaire des crottes de chien, le nettoyage au vinaigre blanc de ma cuisinière au gaz russe, les odeurs des ruelles sous des flots d'eau de riz bouilli pour faire passer l'effluve, le brossage de la vitrine à la paille, les portes qui couinent et tapent du battant intérieur et qu'on bloque avec une vis encordée pour éviter les claquements, la vaisselle à la main (et la hampe merveilleuse), les flatteries aux chevaux et une pomme de temps en temps, et les gens, tous ces gens qui font mes yeux dans la soupe. 
  En rendre compte, cher cousin, trop précisément par des images qui bougent, il me faudrait une neuve caméra.
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