mardi 14 mai 2019

81.LCDçVM 6 : Comme un flou d'hologramme.

  Monter le chauffage en mai, avant toute chose, et laisser la porte ouverte parce qu'il fait plus chaud dehors. Et mettre un fauteuil devant la porte pour éviter que des gens entrent alors que je suis en plein brainstorming avec l'équipe là-dedans. L'attitude généreuse du panda ne doit pas me faire oublier que je suis un vieux bambou.
  Alors, que faire ? Que décider ? Comment régner sur son monde ? Quel média social attaquer de plein front en sachant à l'avance que ça va faire huit vues parce que tu ne parles pas d'écologie ou d'un chanteur connu ou d'une fake niouze en vogue qu'il serait bon de remettre à sa place parce que le Frexit les copains ça risque de chier des bulles face au mondial de la moquette ? 
  Rester le sujet principal de ton travail n'est pas vendeur, surtout si tu ne participes pas à une émission de cuisine ou un truc de survivaliste sur une île perdue engloutie bientôt. Il faut te remettre en question et produire quelque chose. Mais si tu ne veux plus produire quelque chose, seras-tu considéré comme un déchet et mis dehors avant le prochain terme pour délit d'improductivité ? Comment trouveras-tu l'absolution, l'illumination, la grotte céleste avec la Vierge qui clignote ou le parchemin transparent qui reflète ton museau noir dans un éclat d'imprécision dubitative qui floute un peu les yeux et moite un peu les mains ?
  Le chemin est parcouru, les râteaux engrangés, les erreurs admises, les arbres sont beaux sous la ramée sauvage. Le chaud se profile, le permis dragon est en suspend depuis plusieurs mois, le garage en créneau dans ton cœur de chamois d'or, relatif. 
  Tu fais des phrases qui ne veulent rien dire et tu te plais à expliquer que le poulpe est en toi et que ta vitrine veut du tentacule, même si tu n'habites pas Sète et que sept fois sept quarante neuf, même si les images de ta vie surgissent comme dans un manga au moment où le héros allongé sur un tatamis un soir de tournoi de Mahjong trop arrosé de riz fermenté, voit des images de lapins carnassiers surgir devant lui alors qu'il n'a mangé qu'une salade de tofu aux pois chiches feta riz demi-complet de Camargue et un peu de persil parce que c'est riche en fer.
  Tu es enfin parvenu à la montagne du non-like, de l'imprécision précise, du grand final abouti non conscient. Tu dors mal avant la pleine lune. Tu participes au groupe des gens qui ne savent pas encore mais qui vont trouver là cet après-midi, demain, c'est sûr, et tu as besoin de témoigner tes pannes, de ne pas aller au mariage parce que tu n'as pas de chapeau, pour embaumer virtuellement et d'une fragrance accessible et douce, suave et pleine de muguet, cultivé sous serre en Hollande. Les amis et connaissances, soutiens de la première heure qui sont en attente du big bang, du moment crucial où enfin, avec eux, tu franchiras ta névrose, le rubicond et quelques morts encombrants pour aller chasser l'oiseau magique affamé de chocolat, au Venezuela d'avant la crise et près de la chute. 
  L'Australie te semble loin, le cahier des charges aussi. Les carnets remplis d'idées t'obligent à agir et former une nouvelle ligne de codes pour entamer le voyage au Japon parce que Nul n'est prophète en son pays, surtout en plein Ramadan, et que peut-être une bonne guerre ou un cataclysme fou aiderait les cheminants sans strass à déployer leur talent d'infirmière dans une boite de strip-tease d'un pays oriental où l'eurovision passe en boucle les succès passés des jeunes filles noires et blanches d'un télétruc qui grésille sous les pluies acides d'un Runner au flingue holographique qui se tourne vers toi et te demande avec un accent belge : - Vous avez pensé à recharger votre bouteille d'huile de palme ?
  Tu te protèges du réel comme tu peux. Ton gri-gri donné il y a cent ans par un ami marocain disparu depuis dans le sable du temps, pendouille et énerve. Les policiers pensent à de la drogue, alors qu'il ne renferme qu'un petit caillou, ton ami, ton frère, ton projet ultime ressassé dans les nuits d'ombre, cette folie secrète d'une cérémonie fluide, où tu rêvais d'être quelqu'un enfin, reconnu par ton reflet, devant la pile de crêpes qui t'attends sous les yeux des esprits réunis pour ton anniversaire, et tu sais que ce n'est qu'une écriture de mieux qui t'aide à croire qu'un jour tu auras toi aussi ton potager radioactif et ton émission à effets de serre de conseils pratiques pour manger quel grillon.
  Et pour le succès, je veux dire pour celui que je vis au quotidien, il approche à grands-pas comme le Strider du même nom qu'on reconnait à sa frange revêche et ses chaussures boueuses devant la maison en pain d'épices où il vaut mieux affuter ses couteaux avant d'entrer dans le four. J'espère que la tempête sera assez forte pour m'emmener chanter des rimes devant un parterre d'extra-terrestres massés sur la rive, habillés de bleu, et qui, au troisième chant, sortiront leur blasters en criant à mort les hérétiques, nous obligeant à lever l'ancre fissa pour éviter le lynchage et le remboursement des places.

mercredi 8 mai 2019

80.LCDçVM 5 : Flamboyante discrétion.

   Je ne suis pas un enfant au passé brillant et à la migration facile, j'aurais bien aimé rebondir sans crainte au moment idoine, marsupial bondissant, mais j'avais des gants de boxe au niveau des yeux, à la façon d'un kangourou d'Australie engagé dans un club de Scrabble pour échiquier russe.
  Quand une femme m'a proposé Paris, j'étais si apeuré du monde que j'ai préféré rester chez mes voisins bruyants. J'ai mis du temps à m'en vouloir, et à respirer du lait par le nez en toussant. Et puis j'ai mis du temps à ne plus m'en vouloir et à accepter d'entrer dans la narine yougoslave, trésorier du pif dans les Balkans pacifiques. J'ai quitté mes voisins et épousé une belge. Sans alcool. On a des océans communs.
  Entrer en relation peut parfois prendre la tournure d'une odyssée de longue baleine, comme je dis toujours, et se comprendre, ou se faire comprendre peut prendre des années solaires. Les relations sont des compromis aveugles parfois basés sur des malentendus qu'on élucide au moment du dernier souffle, car monter quatre étages sans respirer pour arriver avant l'ascenseur demande de bons mollets. Le lâcher-prise et l'étalage sur tapis pour étirer les os, aide un peu.
  On se découvre et on se plaît, ou on croit qu'il y a mieux zailleurs, et on tente autre chose en reprenant là où l'on croit s'être trompé, pour se souvenir soudain que la bergerie était belle entre deux fatigues montagnardes, et que le lait de bique vaut bien celui des chamelles. C'est souvent un problème sexuel basé sur les échanges de fleurs. Le langage printanier peut devenir grossier.
  La vie sévère ne me convenant pas, je peaufine le nez rouge en caressant ma chatte. Avoir des animaux à la maison permet de ronronner paisible. L'échange s'est apaisé et j'ai repris du poil. De la bête en pleine lune et dans la main en pleine ville. Paris m'est apparue sous un jour nouveau. Zoner dans les parcs, entreprendre de trouver un endroit où pisser en paix loin des caméras et sous les roses. Moi qui aime à boire des litres de thé l'après-midi, j'ai restreint mes soifs au minimum pour apprécier plus longtemps les chinois devant les tableaux italiens, smartphone au niveau des yeux, concentrés, pour que l'image qui bouge pas entre dans le téléphone qui bouge, lui, et la file se disperse vers un autre peintre connu, coincé entre deux alarmes un samedi soir de cohue alors que dehors le soleil perce aux Tuileries sous les nuages flous.
  Je me sens proche des clochards et des migrants, figures invisibles sous des cartons plaintifs, renfoncés dans les portes sombres au milieu des tours Eiffel clignotantes, avec des yeux fatigués comme un touriste sans joie obèse qui se repose sur un banc de pierre derrière la statue en marbre blanc de l'ange cul nu embrassant la mariée.
  Il y en a tant des pauvres, des sales, des boiteux, des qui louchent, des qui puent, des qui parlent tout seuls sans oreillette Apple. J'ai dû passer deux jours au jardin des plantes, allongé sur un banc pour temporiser l'émotion du vortex intérieur, en manque d'arbres et d'oiseaux, à observer les chorégraphies des enfants et des adultes accompagnateurs qui expliquent, qui rationalisent, qui classent et resserrent l'étreinte de la fantaisie inventive (il faut bien les tenir sinon c'est le bordel) parfois plus ignorants que le ramasseur de papiers gras qui ne confond pas les tulipes avec les coquelicots. Il y en avait des biens aussi, tout de même, où l'on sentait que ça circule et que la remise en question éducative amène au jeu de dupes, même avec cinquante ans d'écart.
  Au muséum, j'ai vu des installations de dessous l'océan, notre consommation de plastique qui rejoint les grands fonds lumineux, un seau jaune à pâté-châteaux abandonné prêt d'un poisson à la lampe frontale qui clignote, avec une gueule pleine de dents qu'on aimerait coller sur une affiche électorale d'un parti que les gens simples ou méchants veulent voir à l'action pour nettoyer le monde de la vermine. - Grâce à nous, ils n'entreront pas ! - Mais ils sont là ! - Oui, mais ils n'entreront pas. - Mais ils sont là... Litanie connue.
  Le nettoyage  des plages de silence est entre nos mains, nous ne pouvons pas vraiment attendre que les pouvoirs publics mettent en place des solutions inutiles qui satisfont les plus qu'aisés et endorment les Moyen-Âge (singulier invariable) qui n'agissent que peu. Cluny lingus et spiritu museo, ça veut rien dire mais je voulais la placer pour faire latin.
  Et pour le succès, je veux dire celui que je vis au quotidien, il ne m’enlèvera pas l'idée que garder une cathédrale brûlée avec des mitraillettes pour éviter qu'on s'approche à moins de cinq cent mètres est un peu idiot. J'espère que la tempête sera assez forte pour m'emmener voir le cochon Tirelire, qui de son groin magique transforme en visions la moindre flaque d'eau tranquille d'un monde qui a soif d'avenir vert et de progrès décroissant.