mercredi 8 mai 2019

80.LCDçVM 5 : Flamboyante discrétion.

   Je ne suis pas un enfant au passé brillant et à la migration facile, j'aurais bien aimé rebondir sans crainte au moment idoine, marsupial bondissant, mais j'avais des gants de boxe au niveau des yeux, à la façon d'un kangourou d'Australie engagé dans un club de Scrabble pour échiquier russe.
  Quand une femme m'a proposé Paris, j'étais si apeuré du monde que j'ai préféré rester chez mes voisins bruyants. J'ai mis du temps à m'en vouloir, et à respirer du lait par le nez en toussant. Et puis j'ai mis du temps à ne plus m'en vouloir et à accepter d'entrer dans la narine yougoslave, trésorier du pif dans les Balkans pacifiques. J'ai quitté mes voisins et épousé une belge. Sans alcool. On a des océans communs.
  Entrer en relation peut parfois prendre la tournure d'une odyssée de longue baleine, comme je dis toujours, et se comprendre, ou se faire comprendre peut prendre des années solaires. Les relations sont des compromis aveugles parfois basés sur des malentendus qu'on élucide au moment du dernier souffle, car monter quatre étages sans respirer pour arriver avant l'ascenseur demande de bons mollets. Le lâcher-prise et l'étalage sur tapis pour étirer les os, aide un peu.
  On se découvre et on se plaît, ou on croit qu'il y a mieux zailleurs, et on tente autre chose en reprenant là où l'on croit s'être trompé, pour se souvenir soudain que la bergerie était belle entre deux fatigues montagnardes, et que le lait de bique vaut bien celui des chamelles. C'est souvent un problème sexuel basé sur les échanges de fleurs. Le langage printanier peut devenir grossier.
  La vie sévère ne me convenant pas, je peaufine le nez rouge en caressant ma chatte. Avoir des animaux à la maison permet de ronronner paisible. L'échange s'est apaisé et j'ai repris du poil. De la bête en pleine lune et dans la main en pleine ville. Paris m'est apparue sous un jour nouveau. Zoner dans les parcs, entreprendre de trouver un endroit où pisser en paix loin des caméras et sous les roses. Moi qui aime à boire des litres de thé l'après-midi, j'ai restreint mes soifs au minimum pour apprécier plus longtemps les chinois devant les tableaux italiens, smartphone au niveau des yeux, concentrés, pour que l'image qui bouge pas entre dans le téléphone qui bouge, lui, et la file se disperse vers un autre peintre connu, coincé entre deux alarmes un samedi soir de cohue alors que dehors le soleil perce aux Tuileries sous les nuages flous.
  Je me sens proche des clochards et des migrants, figures invisibles sous des cartons plaintifs, renfoncés dans les portes sombres au milieu des tours Eiffel clignotantes, avec des yeux fatigués comme un touriste sans joie obèse qui se repose sur un banc de pierre derrière la statue en marbre blanc de l'ange cul nu embrassant la mariée.
  Il y en a tant des pauvres, des sales, des boiteux, des qui louchent, des qui puent, des qui parlent tout seuls sans oreillette Apple. J'ai dû passer deux jours au jardin des plantes, allongé sur un banc pour temporiser l'émotion du vortex intérieur, en manque d'arbres et d'oiseaux, à observer les chorégraphies des enfants et des adultes accompagnateurs qui expliquent, qui rationalisent, qui classent et resserrent l'étreinte de la fantaisie inventive (il faut bien les tenir sinon c'est le bordel) parfois plus ignorants que le ramasseur de papiers gras qui ne confond pas les tulipes avec les coquelicots. Il y en avait des biens aussi, tout de même, où l'on sentait que ça circule et que la remise en question éducative amène au jeu de dupes, même avec cinquante ans d'écart.
  Au muséum, j'ai vu des installations de dessous l'océan, notre consommation de plastique qui rejoint les grands fonds lumineux, un seau jaune à pâté-châteaux abandonné prêt d'un poisson à la lampe frontale qui clignote, avec une gueule pleine de dents qu'on aimerait coller sur une affiche électorale d'un parti que les gens simples ou méchants veulent voir à l'action pour nettoyer le monde de la vermine. - Grâce à nous, ils n'entreront pas ! - Mais ils sont là ! - Oui, mais ils n'entreront pas. - Mais ils sont là... Litanie connue.
  Le nettoyage  des plages de silence est entre nos mains, nous ne pouvons pas vraiment attendre que les pouvoirs publics mettent en place des solutions inutiles qui satisfont les plus qu'aisés et endorment les Moyen-Âge (singulier invariable) qui n'agissent que peu. Cluny lingus et spiritu museo, ça veut rien dire mais je voulais la placer pour faire latin.
  Et pour le succès, je veux dire celui que je vis au quotidien, il ne m’enlèvera pas l'idée que garder une cathédrale brûlée avec des mitraillettes pour éviter qu'on s'approche à moins de cinq cent mètres est un peu idiot. J'espère que la tempête sera assez forte pour m'emmener voir le cochon Tirelire, qui de son groin magique transforme en visions la moindre flaque d'eau tranquille d'un monde qui a soif d'avenir vert et de progrès décroissant.

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