jeudi 20 octobre 2022

99.Le cornet à spirales.

   Chaque fois que je broie une soupe dans un mixer, je ne peux pas m'empêcher de penser aux Gremlins. Le film. Ce moment où la maman se lâche dans la maison et utilise tout ce qu'elle a sous le coude (manière de dire car c'est plutôt sous la main) pour buter les créatures qu'on avait dit qu'elles devaient pas être nourries après minuit. Le moment micro-ondes aussi est bien. Splatch le truc. Mais j'ai plus de micro-ondes. C'est dangereux pour les ovaires. Je ne sais pas si j'ai des ovaires, mais je me méfie. Depuis que j'ai Internet, je ne suis plus sûr de rien. Je suis du genre non binaire avec une fourche et une serfouette. Il faut bien biner les citrouilles avant que l'outil ne rouille, comme disait mon épouvantail et fines herbes. Pardon aux familles.
  Se faire une soupe à lassi trouille au mois d'octobre, je trouve ça plutôt collectif. J'avais pas trop prévu d'aller à la rivière (qui est basse, si basse) cet aprèm de hier, mais j'aurais pu. Yaourt est longue, allongeons la jambe. Relaxé (et c'est justice) dans un hamac confort aux mousquetons glorieux, au mitan du fil de l'eau des hérons, laissant flotter bras et cheveux en long sous le ciel chaud dans le vent doux de l'été indien d'Amérique du Nord. 
  Je vous avais dit que je vivais au Saskatchewan ? 
  C'est un pays de verdure où chantent les rivières tout ça. Bigfoot n'est pas très intéressé par la future coupe du monde. Taillée ras, version mulet sur le Klondike ahanant sous les pioches. L'or se fait rare pour les travailleurs oubliés des stades fluctuants des mauvais Djinns de l'essence. T'es laid sphérique quand les sapins sont secs. 
  La situation est très préoccupable, va t-il falloir s'adapter ? Je n'avais pas trop prévu de vivre dans un bunker ou dans une société de batailles permanentes de PQ en caddies. Cependant, car je suis prévoyant, je réfléchis. J'ai la pâte avertie en paquets d'un kilo.
  Je mange parfois après minuit, avec du râpé, et il ne se passe pas grand chose.
  Je vois défiler la molette des informations astrophysiciennes sur le multiple du multivers intersidéral qui à chaque nouvelle photo du gossipeur des sphères (James Webb, le paparazzi interstellaire), repousse les limites du possible multiplié de l'assurance chômage, loin. Des milliards et des milliards qu'on nous dit. Il n'y a pas d'espace magique.
  Créer des trucs, c'est s'adapter à l'univers qui t'entoure comme une écharpe d'étoiles. On dirait du RécréA2. C'est aussi comprendre le vide du dedans de soi qu'on remplit avec une tasse de soupe. Feuilles de radis, patates, carotte (c'était une grosse carotte). Créer, inventer, laisser venir et avoir la colique après. J'aurais dû mieux trier les feuilles.
  Pour laisser venir, il me faut du temps et de l'espace. Du temps de rien où il n'y a rien à faire. Il faut un mois et demi pour déclencher le processus. C'est bêta que je doive rentrer chez le chien. 
  C'est la loi impossible entre la valeur travail et la création du tri. Choisir le sujet, développer, pondre, faire côtcôt fort, se masser le cul. J'ai du temps devant moi et je peux laisser le cerveau trier les fiches sans bouger les pouces. Quand vous entendrez la cloche faire ding, il sera temps de tourner la page.
  En laissant faire, j'avance plus vite, mais après.
  Les moments parfaits quand tout s'éclaire, c'est facile, même qu'on se moque d'être mal assis mais j'aurais dû prendre mon gros fauteuil rembourré faux cuir à roulettes qui perd ses petites paillettes noires de dessous et dont la molette à remonter/descendre peine un peu.
  J'ai déjà parlé de ça cent cinquante fois dans cent cinquante messages, même si ce n'est que le 99eme, le subtil équilibre entre le moment où on a un truc à s'auto-rendre et l'envie de laisser flotter les nuages dans une tasse avec une fleur jolie qui s'ouvre on en croit pas ses oreilles.
  Je mange des images, des écrans, des séries, des sous-titres, des recettes. Je lis (à remplir) par jour tout ce qui me passe sous les yeux que ça clignote ou pas et je pleure un peu et vrombit des paupières. Je regarde aussi beaucoup les oiseaux qui cherchent dans les pierres une petite niche pour passer l'hiver au sec (à moins qu'ils ne bouffent des araignées je sais pas). 
  La détente des idées en moi vient avec une certaine saturation de rien et un certain flottement de tout. C'est pas méchant, mais faut comprendre (?).
  Je sais que ça va venir, j'ai des sommes qui le prouvent.
  Où j'ai lu la phrase du mec qui dit, tu peux passer huit heures devant un écran avec une page blanche, et tu produis rien, et ça s'appelle quand même écrire ?
  Les grandes enjambées du marcheur du vent se sont ce matin levées avec la brume, et du haut de mon chalet du Canada Dordognot où l'on entend tirer par rafales sur les gibiers qu'on nomme gibiers mais qui s'appellent autre chose entre eux et qui doivent faire des tas dans le congélateur, je ressens les fragments du Grand Esprit appelant les ancêtres Tchipewyans à hurler au sacrifice de la prochaine bière américaine qui, une fois bue, aidera à réveiller les guerriers parés de peintures à mains bleues, narrant l'étendue de la grande prairie où se déroule le papyrus de ton inspiration maudite. Avec deux boules.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire