vendredi 16 mars 2018

62.Méga Ouate

  La professeur de clown m'a dit que j'étais un coton de nuage. cela devait faire dix ans que je n'avais pas reçu un tel compliment. Même si je ne sais pas bien ce que ça signifie. Il faut la comprendre, elle est Chilienne. Ces gens là ne sont pas comme nous. Je signe où ? 
  Il m'en faut peu pour m'envoler, j'aime tout particulièrement les corbeaux. C'est un oiseau qui est à l'honneur dans mes toiles, l'as-tu vu ? il est marrant le corbeau, il fait semblant d'être blessé en vol, il choure des trucs, il mange des yeux. La totale poilade. Cela fait longtemps que je n'ai pas vu un beau champ de bataille à l'ancienne. Le cinéma nous aide à entretenir la belle mémoire des massacres inutiles d'hier qui nous aident à comprendre les ceux inutiles d'aujourd'hui. Pourquoi se taper dessus sinon pour un territoire ?
  Je reviens à l'idée du comment je vais faire pour mon livre série marionnettes spectacle de chansons album jeunesse et BD. Pour te dire que c'est possible à partir du moment où tu y crois. Si si. Il faut une totale folie, une endurance à toute épreuve, et une faculté à se boucher les oreilles face aux incrédules. On me dit c'est un peu tard pour engager quelque chose sans réseau, dans ces matières incertaines qui ne dépendent que de toi et de ta foi dans le retour du printemps sans abeilles. Ils veulent surtout remplir la jauge, ou vendre les albums, l'artistique, ils s'en tapent. 
  Oui, c'est vrai. Pour la plupart c'est vrai. C'est comme l'image qu'on te colle sur la tronche en te donnant une identité secrète, enfin secrète pour toi, lui il est comme ci ou comme ça. Ou alors tu n'es rien du tout et tu n'existes pas encore, tu es le mec sympa qui sourit et qu'on invite pas à des trucs gratuits.
  Ta copine n'aime pas tes vidéos de la semaine, tes rendez-vous s'annulent et tout le monde autour de toi s'inquiète. Enfin tout le petit monde parce que y'a pas foule. De quelle réincarnation de fossiles suis-je issue ?
  J'aime communiquer, appeler, m'amuser, partager, mais les adultes sont là, à flairer, à dire, à médire, à ergoter, à tourner autour, à gratter ton dos et d'une serre aiguisée te suspendre à un clou pour examiner la bête. On te flaire, on se dit, mais que fait-il, mais qui est-il ? Ou on ne te dit rien, on t'oublie et on ferme la lumière, c'est pas mieux. Alors tu lèves les bras et tu te laisses doucement glisser au sol, laisser ton pull en l'air, partir en chemise. Il faut s'inventer des ennemis pour faire un grand voyage.
  Bien sûr il va falloir entendre le réel, les ceux qui pensent à ton avenir, les ceux qui te barrent la route et te disent que tu n'as pas ta place ici-bas, que ce n'est pas la peine de passer au casting, qu'il y a déjà du monde qui attend.  Et des plus jeunes, des plus dynamiques, qui maîtrisent Photoshop et travaillent sur des Mac. Ils ont des smartphones modernes plus intelligents qu'eux, qui leur permettent de ne pas retenir trop de choses, des sourires faciles, de beaux vêtements, ils savent ce qui se passe dans le monde et peuvent appeler des gens sans même appuyer sur une seule touche quand toi tu tournais le cadran d'un téléphone avec un crayon, crrrrrrr, qui sonnait si fort dans la grande maison où maman dort à l'étage. Il faut se concentrer, il faut se ramasser sur soi, et comme ton ami Le Tigre, Garcin Attorney Duralieu, fils du terrible inventeur du dentifrice au sucre qui fit tant de mal aux nations blanches du Nord, tu vas courir pour échapper à la horde, tu vas disparaître dans les catacombes, trébucher sur des os et des crânes qui s'effritent et crissent, perdre ton chemin jusqu'à être sûr que même ici, personne, pas même toi, ne pourra te retrouver. Puis tu avances dans la pièce inattendue, avec une stèle gravée d'une écriture qui n'existe plus aujourd'hui, dont tu te dis qu'il faut pousser la dalle placée devant pour regarder dessous, à l'intérieur, pour être sûr de passer une nuit tranquille, froide, mais tranquille. Tu avises une barre de fer, placée là, peut-être à ton intention, ou du moins à celle de ceux qui, avant toi aussi, ont tenté de faire levier. Et après avoir ahané comme un bossu sonneur de cloches, comme tu t'en doutais, laissant tomber la barre dans un écho de blang qui résonne dans les souterrains que tu viens de traverser en sprint, tu trouves une surprise. Ici pas de momie rongée par des rats, de corps poussiéreux ou de cercueil vrillé, seulement des marches, qui s'enfoncent plus bas, encore plus bas. Tu sors une torche de ton sac en toile cirée, tu craques une allumette de voyageur, de celles qui fonctionnent même sous la pluie, et tu fais brûler ton flambeau pour descendre lentement vers la destination qui t'attendait depuis longtemps. Derrière toi quand, au premier tournant, tu commences à quitter pour de bon le monde d'où tu viens, tu n'es pas étonné d'entendre la dalle se remettre lentement, en glissant, à sa place, dans un frottement silencieux de pierre. Il faut avancer.

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