jeudi 4 avril 2019

73.La bonne pioche.

  Et si, par un hasard étonnant, cela s'était passé d'une autre façon. Si la communication entre les êtres que je nomme mes parents, avait été limpide et raisonnable, que se serait-il passé ? La vision de l'idéal nous aide parfois à reprendre le fil cassé de la bobine, le petit morceau de boudin aux pommes abandonné dans la vitrine d'un supermarché de campagne désert un soir de match, l'arbrisseau taillé à la sauvage par une tronçonneuse vengeresse d'un samedi après-midi sans joie.
  Si ma famille avait aimé parler, dédramatiser les impasses par un bras d'honneur au destin et une amicale pensée pour le voisinage, si au lieu de voir les choses du côté catastrophiste, ils m'avaient enseigné à prendre le temps un peu plus à la lègère, rire de tout et surtout du pire, s'ils m'avaient expliqué que le monde était profondément injuste et qu'on y pouvait rien mais que malgré ça il était tout de même possible de planter des carottes et des fleurs pour les coccinelles, serais-je seulement devenu la douceur incarnée dans une multinationale import-export basée dans les Îles Caïmans, vendant des coussins en poils de chats à une jet-set du 6eme arrondissement de Paris, ou du 7eme, je connais pas bien ? Serais-je resté français ? Aurais-je épousé une femme ? Aurais-je eu des enfants cachés sous la maison ? Est-ce que j'aurais, enfin, déposé toute ma fortune accumulée en douze années de bons et loyaux services pour l'Aquitaine, dans l'investissement raisonné de pâte à prout pour les adultes qui n'ont pas encore lu Kafka en version pdf avec des images en relief des moments les plus comiques ?
  Le temps est une hache qui tourne dans la main d'un nain bûcheron guerrier ivre qui passé une certaine heure dans la boite bondée prend les jambes des grands pour des arbres. Et nul ne peut revenir en arrière, à moins de s'arranger avec ses choix et décider avec l'accord de sa mauvaise foi que tout ça a un sens caché, et que si ça s'est passé comme ça, c'est que ça ne devait pas se passer autrement.
  Je regrette totalement de ne pas avoir compris mes gestes, disons, je regrette totalement de ne pas avoir saisi les gestes qu'il eu fallu que je fisse, que je fasse, que je fonce, je regrette totalement. Je regrette raisonnablement les âmes que j'ai blessé en me définissant mal, les gestes et les meubles déplacés pour rien, les sonnettes sonnées sans rester sur le pas de la porte. Je regrette avec qualité de regret, si tant est qu'on puisse donner aux regrets une valeur à coter quelque part, je regrette de ne pas avoir été plus fou plus tôt, et de ne pas avoir tout envoyé paître avec politesse et rondeur en kidnappant ma professeur d'espagnol pour la forcer à parler allemand.
  Les expériences s'accumulent et je comprends que l'on parle à des gens qui ne parlent pas la même langue, et l'on se roule des pelles dans la neige en croyant que l'on a envie de cette maison aperçue sur le bon coin au détour d'une conversation échevelée livide, où les astres étaient propices et l'herbe grasseyante haute et pleine de chèvres et d'indiens amis qui viennent danser en imitant le bison les soirs de pleine lune, et on échange du tabac et on fume jusqu'à plus soif en ignorant encore l'eau de feu et les morpions des hollandais.
  Ma vie se résume en trois temps. Un, je pensai avoir la chance d'être emporté par cette troupe qui avait vu en moi un petit doué bavard, mes parents auraient signé sans crainte, respirant enfin d'un calme retrouvé dans une maison vide où l'on aurait mis mes jouets à la benne. Ma sœur se serait consolée en tapant sur quelqu'un d'autre. Deux, le temps des cerises reviendra comme à l'époque où l'on laissait pousser des pommes de terre avec des soldats tout autour pour inciter les voleurs à en planter chez eux (des patates pas des soldats) et manger des truffes avant l'invention des nouilles. Trois, j'ai tout de même bien changé et je pourrais comme mon ami ex président faire un discours dans un théâtre en réunissant toutes les personnes avec qui j'aurais aimé coucher par écrit les mémoires de nos visions différentes de l'existence aisée de blancs dominants hétérosexuels jouant de la guitare les soirs de liesse, quand l'équipe est si fière d'avoir enfin remporté la coupe de feu mais pas de bol on se télétransporte dans un cimetierre et il faut mettre sa race à celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-prénom-François-Hollande, et il reste encore trois gros livres à écrire sous la pression des foules, ce que c'est que d'être connu quand on préférerait chanter à la place du vieux Bulgare qui fait chier avec son piano électrique qui a trois options musicales, et il passe parmi les gens en costume coloré et l'on pense au Moyen Âge de Walt Disney parce que le vrai était moins marrant et aux clooches de Noootre-Daaaame de j'ai déjà dit plus haut, comme quoi Victor-Hugo est une obsession.
  Les voyageurs du temps perdent-ils des calories, et si oui, est-ce que l'on peut généraliser l'essai et lancer un régime ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire